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PARTIE 22 : PRÉSENTATION DE L’ISLAM AUX TRIBUS EN L’AN 11 DE L’HÉGIRE

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Ibn Sa’d rapporte : « Chaque année, le Prophète ﷺ, profitant des foires de ‘Ukâz et d’autres, suivait les pèlerins là où ils campaient et leur demandait, en échange du Paradis, de le protéger afin qu’il puisse transmettre le Message de Dieu. Mais personne ne le soutenait […] Abû Lahab le suivait en répétant : ‘Ne le croyez pas, car il a renié la religion de ses ancêtres !’ » Depuis la mort d’Abû Tâlib, une chose essentielle avait changé : le Prophète ﷺ cherchait aussi un peuple qui accepterait de le protéger, afin qu’il puisse continuer à transmettre la Révélation en toute sécurité. On rapporte qu’il se présentait aux gens, à la saison du pèlerinage, en leur disant : « Qui peut m’amener à son peuple, car les Qurayshites m’ont empêché de communiquer la Parole de mon Seigneur ? » Lors du pèlerinage qui suivit le décès de son oncle et de son épouse Khadîja, le Prophète ﷺ aborda à Minâ, dans la banlieue de La Mecque, une quinzaine de contingents de pèlerins étrangers. Il rencontra un accueil divers, mais toujours négatif. Chaque tribu réagit différemment, mais aucune ne lui prêta assistance. Pourtant, le Messager ﷺ ne désespéra jamais. Son objectif restait clair : transmettre le Message. Il demeura constant, malgré les immenses épreuves et la dureté des cœurs, jusqu’à sa rencontre décisive avec un petit groupe de six Médinois.

La première tribu qu’il aborda fut celle des Banû Hanîfa – la même d’où surgira plus tard Musaylima le menteur (un faux prophète). Leur réaction fut si rude que les rapporteurs de hadith ont refusé d’en transmettre les paroles. Le Prophète ﷺ s’adressa ensuite à la tribu des Banû ‘Abdallâh, dont le nom signifie littéralement « les fils (ou descendants) des serviteurs de Dieu ». Il leur dit avec bienveillance : « Ô les descendants de ‘Abdallâh ! Dieu a donné un beau nom à votre aïeul, ayez foi en Lui. » Mais eux aussi refusèrent. Puis, le Prophète ﷺ se dirigea vers la tribu des Banû ‘Âmir b. Sa‘sa‘a. Il les invita à croire en Dieu et se proposa à eux comme messager. L’un de leurs hommes déclara : « Je jure par Dieu que si je prends cet homme aux Qurayshites, je mangerai les Arabes grâce à lui ! » Puis il poursuivit : « Dis-nous : si nous reconnaissons ta mission et que Dieu te donne la victoire, aurons-nous le pouvoir après toi ? » Le Prophète ﷺ répondit : « Le pouvoir appartient à Dieu. Il le donne à qui Il veut. » L’homme conclut : « Est-ce que nos poitrines serviront de cibles aux Arabes pour te défendre, et quand tu auras la victoire, le pouvoir sera à d’autres ?! Non, nous n’avons pas besoin de toi. » Ainsi, les Banû ‘Âmir rejetèrent à leur tour le Messager de Dieu ﷺ.

Le Prophète ﷺ, animé par une persévérance inébranlable, continua à aller à la rencontre des tribus arabes. Après de nombreux refus, il choisit d’approcher de petits groupes de pèlerins venus à La Mecque pour le pèlerinage. C’est ainsi qu’il fit la rencontre d’un homme nommé Suwayd b. al-Sâmit, que son peuple appelait « al-Kâmil » (Le Parfait), en raison de sa noblesse, de sa poésie, de sa généalogie et de sa sagesse. Suwayd se présentait comme un homme de lettres, passionné par la sagesse des anciens. Lorsque le Prophète ﷺ l’invita à embrasser l’islam, Suwayd lui répondit qu’il connaissait une parole de sagesse plus belle encore que celle qu’il avait entendue. Le Prophète ﷺ lui demanda alors de lui réciter ce qu’il savait. Suwayd cita alors les maximes attribuées à Luqmân, tirées des anciens écrits. Lorsque Suwayd termina, le Prophète ﷺ lui dit : « Ce sont là de belles paroles, mais j’ai mieux que cela. Accepterais-tu de m’écouter comme je t’ai écouté ? » Suwayd accepta. Le Prophète ﷺ lui récita alors quelques versets du Coran. Saisi par la majesté de cette révélation, Suwayd déclara : « Par Dieu, ceci est plus beau que tout ce que j’ai appris. Je témoigne que tu es le Messager de Dieu ﷺ. Mais je suis un homme faible parmi les miens et je ne pourrai pas beaucoup t’aider. » Le Prophète ﷺ considéra sa conversion avec bienveillance.

Une autre fois, le Prophète ﷺ fit la rencontre d’un homme venu du Yémen, nommé Dimâd al-Azdî. Ce dernier, réputé pour être un guérisseur (râqî), était venu à La Mecque pour le pèlerinage. À son arrivée, on lui parla d’un homme de Quraysh prétendument atteint d’un esprit – en désignant le Prophète ﷺ. Dimâd se rendit donc auprès de lui pour le « guérir ». Il se présenta, expliqua sa spécialité, puis demanda au Prophète ﷺ ce qu’il avait. Le Prophète ﷺ, souriant, lui répondit : « Écoute ce que je vais te dire : ‘Louange à Dieu, je recours à Lui, je Lui demande de me guider, de me pardonner, et de me préserver de mes mauvaises actions. Celui à qui Dieu montre le bon chemin est bien guidé, et celui qui s’égare, n’a ni maître ni soutien’ ». Dimâd, profondément touché par la beauté et la puissance de ces paroles, demanda qu’on les lui répète, ce que fit le Prophète ﷺ à trois reprises. Il s’écria alors : « J’ai entendu les discours des devins, des sorciers, et des poètes, mais jamais je n’ai entendu de telles paroles. Tends-moi ta main que je te prête serment d’allégeance, et que je m’engage dans la voie de l’islam. »

C’est peut-être à cette même époque que Chosroes, roi des Perses, écrivit à son gouverneur du Yémen, Bâdhân. Ibn Hishâm rapporte d’après al-Zuhrî que le roi perse lui ordonna : « On m’a informé qu’un homme de Quraysh, à La Mecque, prétend être Prophète. Marche contre lui et exige de lui qu’il se rétracte. S’il le fait, laisse-le ; sinon, envoie-moi sa tête. » Bâdhân transmit ce message au Messager de Dieu ﷺ, qui ne montra aucune inquiétude et répondit simplement : « Dieu m’a promis que Chosroes sera tué tel jour, en tel mois. » Lorsque cette réponse parvint à Bâdhân, il attendit de voir ce qu’il en serait, se disant : « S’il est vraiment Prophète, cela se passera comme il l’a dit. » Et en effet, le roi perse fut tué exactement à la date annoncée par le Prophète ﷺ. Bâdhân embrassa alors l’islam, au cours de l’an 10 de l’Hégire, et le Yémen ouvrit ses portes à l’appel du Prophète ﷺ.

La conversion d’un groupe de Médinois

La saison du pèlerinage touchait à sa fin, et les pèlerins s’apprêtaient à repartir. Les différentes tentatives du Prophète ﷺ auprès des tribus venues à La Mecque s’étaient révélées infructueuses. Mais cela ne le décourageait pas : jusqu’au dernier moment, il continuait d’inviter les gens à l’islam. Ce fut au cours de la saison du pèlerinage de la onzième année de la mission prophétique que l’appel à l’islam trouva enfin des cœurs réceptifs. Ce groupe prometteur allait offrir un nouvel espoir et une protection inespérée aux croyants. Cette année-là, le Prophète ﷺ rencontra six jeunes venus de Yathrib (Médine), de la tribu de Khazraj, menés par As‘ad b. Zurâra. Le Prophète ﷺ alla à leur rencontre et leur demanda qui ils étaient. Lorsqu’il apprit qu’ils appartenaient aux Khazraj et qu’ils étaient alliés aux juifs, il leur proposa de l’écouter. Il leur récita alors des versets du Coran et les invita à embrasser l’islam. Tandis qu’il parlait, les jeunes se regardaient, étonnés. Certains dirent aux autres : « C’est le Prophète dont nous parlaient les juifs ! Ne les laissons pas nous devancer. » En effet, les habitants de Médine avaient entendu les juifs annoncer la venue imminente d’un prophète à la fin des temps.

Les Khazraj, affaiblis par des années de conflit avec les Aws, virent là une chance de réconciliation. Ils dirent au Prophète ﷺ : « Notre peuple est déchiré par les querelles internes ; peut-être que Dieu le délivrera par ton intermédiaire. » Ainsi, dans Sa sagesse, Dieu destinait Médine à porter cette noble mission, et préparait les conditions de son aboutissement. Notons que les six jeunes appartenaient à la tribu des Khazraj, tribu à laquelle le Prophète ﷺ était apparenté par ses ancêtres maternels, puisque son arrière-grand-père Hâshim avait épousé une femme de Médine. Avec le recul, on comprend que Dieu a voulu que ce soit un peuple extérieur à la tribu du Prophète ﷺ qui réponde le premier à son appel. Cela afin que personne ne puisse croire que sa mission avait une motivation tribale, ou qu’elle répondait aux seuls besoins de sa propre communauté. Les six jeunes embrassèrent l’islam et promirent de revenir l’année suivante. Mais, conscients des réalités tribales, ils décidèrent de ne pas encore proclamer leur allégeance. Tous étaient Khazrajites, et s’ils s’engageaient seuls, les Aws pourraient refuser de suivre, pensant que Muhammad ﷺ était le Prophète des Khazraj. Le Prophète ﷺ accepta leur décision et les encouragea à revenir au pèlerinage suivant, accompagnés cette fois de leurs frères des Aws.

Plus que quiconque, le Prophète connaissait les multiples voies par lesquelles l’homme peut parvenir à Dieu. Il savait que chaque âme possède une sensibilité propre et qu’il fallait, pour bien guider, respecter la singularité de chacun. Cette conscience fine des êtres impose à tout prédicateur de prendre en compte les besoins intérieurs de ceux à qui il s’adresse, et de mouler ses paroles dans une forme que chacun puisse comprendre et recevoir. Sur le plan logique, l’appel de l’islam repose sur des fondements constants et récurrents : l’unicité de Dieu, la certitude de la résurrection, la nécessité pour l’homme de reconnaître sa condition de serviteur et de se conformer au modèle prophétique. Ce sont là des thèmes universels et immuables. Mais lorsqu’ils sont prononcés par celui qui appelle sincèrement à Dieu, ils prennent les couleurs de sa personne, le ton de son cœur, l’empreinte de sa foi. Il insuffle à ces vérités éternelles une vie nouvelle, car il y joint sa sincérité, son humilité et sa ferveur. Ainsi, bien que le message demeure le même, son expression se diversifie. Le fond reste unique, mais les formes qu’il revêt sont multiples. L’appelant sincère est habité par la crainte révérencielle de Dieu, animé par le désir profond de rapprocher les âmes de leur Créateur. Il sait que si, par ses paroles, il parvient à guider ne serait-ce qu’un cœur, Dieu l’agréera. Cette espérance nourrit son engagement et vivifie sa parole. Dès lors, ses propos, bien que centrés sur un seul message, n’ont rien de figé ni de monotone : ils vibrent d’une inspiration renouvelée, imprégnés de miséricorde et de vérité. Le prédicateur de la parole divine ne parle pas pour lui-même ; il parle pour ceux qu’il appelle. Sa première pensée va à son assemblée. Il veut ardemment qu’elle trouve la voie de la vérité, et pour cela, il adapte son message à la nature de ceux qui l’écoutent, pour que chacun puisse le recevoir selon sa capacité. Nul n’a incarné cette sagesse avec autant de perfection que le Prophète de l’islam . Jour et nuit, il appelait à Dieu, sans relâche ni lassitude. Mais son discours ne fut jamais une répétition lassante ou mécanique : il prenait soin, à chaque fois, de tenir compte de l’identité, de la sensibilité et du vécu de ceux qu’il avait en face de lui. Un jour, dans les premières années de sa mission à La Mecque, il s’adressa à Abû Sufyân et à son épouse Hind avec ces mots simples et solennels : « Abû Sufyân b. Harb, Hind bint ‘Utba ! Vous mourrez, puis vous serez ressuscités. Les bons entreront au Paradis, et les mauvais iront en Enfer. Je vous le dis : telle est la vérité. » En quelques phrases, il transmit l’essence du message avec clarté, fermeté et bienveillance.

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

Quels furent ces résultats et comment ont-ils évolué ? Le Prophète obtint les premiers fruits de sa prédication non pas auprès de sa propre tribu, Quraysh, bien qu’il ait vécu au milieu d’eux et partagé leur quotidien, mais à l’extérieur, parmi des étrangers à son lignage. Pourquoi donc ? C’est là une manifestation de la sagesse divine. Dieu voulut que la mission du Prophète s’accomplisse de manière à ne jamais susciter le moindre doute chez quiconque médite sur son origine et son déroulement, et qu’elle ne puisse être assimilée à un projet personnel ou tribal. Cette distance était nécessaire pour préserver l’universalité du message et faciliter son acceptation. Ainsi, Dieu voulut que Son Messager , un homme analphabète, soit suscité dans une nation elle-même dépourvue de culture écrite, ignorante des civilisations passées, et sans legs intellectuel à revendiquer. Cela, afin qu’aucun sceptique ne puisse prétendre que le message du Coran est l’écho d’un savoir humain préexistant. Dieu dota aussi Son Prophète des plus nobles qualités, notamment la sincérité et la probité, et Il fit en sorte que ses premiers compagnons soient étrangers à sa tribu et à son environnement immédiat. Par cette configuration, il devenait évident que la mission ne reposait ni sur des liens d’intérêt, ni sur une appartenance tribale, ni sur une stratégie de pouvoir local. Ceux qui méditent objectivement la vie du Prophète constateront qu’une force supérieure guidait son parcours dans ses moindres détails, en veillant à ce qu’aucun aspect ne puisse prêter le flanc aux critiques de ceux qui réduisent les faits à des calculs d’intérêt ou à des interprétations subjectives. C’est ce que reconnaît l’historien occidental Chakib Arslane dans « Le monde islamique aujourd’hui ». Il écrit : « Ces orientalistes qui ont critiqué la vie du Prophète dans ce style typiquement européen ont passé les trois quarts d’un siècle à rechercher le moindre détail susceptible d’ébranler ce que la majorité des musulmans considère comme établi. Après toutes ces années de recherches minutieuses, ils n’ont pas réussi à réfuter les vérités fondées sur l’islam et les récits authentiques de la tradition. Aucun fait nouveau n’a été prouvé. Pis encore : en examinant leurs conclusions, on s’aperçoit que les orientalistes français, anglais, allemands, belges ou hollandais se contredisent, au point que les affirmations des uns sont immédiatement annulées par les négations des autres. » La mission du Prophète résiste donc à l’usure du temps comme à l’épreuve des critiques, et sa vérité demeure intacte malgré les tentatives de la contester.

En méditant sur les circonstances qui entourèrent les débuts de la conversion des Médinois à l’islam, on saisit clairement que Dieu les avait préparés, dans leur mode de vie comme dans leur environnement, à accueillir cette mission prophétique. Leur disposition intérieure, leur état psychologique et social les rendaient réceptifs au message islamique. Quels furent donc les éléments de cette préparation spirituelle ? Les habitants de Médine formaient une société composite : des Arabes polythéistes y cohabitaient avec des groupes juifs venus des confins de la péninsule arabique. Ces derniers, selon leur habitude, usaient de ruse pour exacerber les rivalités entre les deux grandes tribus arabes de la ville, les Aws et les Khazraj, alimentant une suite de conflits meurtriers et de luttes fratricides. À chaque tension avec les Arabes, les juifs menaçaient ces derniers en invoquant la venue imminente d’un Prophète , qu’ils attendaient et dont ils se disaient les futurs partisans. Ils affirmaient qu’il serait un appui pour eux contre les polythéistes. Ces discours, répétés au fil des années, avaient semé dans les esprits des Arabes de Médine l’idée qu’un envoyé allait paraître, et cette attente mûrit au cœur d’un peuple las de divisions et assoiffé d’unité. Ainsi, les Médinois en vinrent à espérer que ce Prophète attendu serait celui qui mettrait fin à leur haine mutuelle, guérirait leurs blessures et unifierait leurs cœurs. Dieu, dans Sa sagesse infinie, avait donc préparé le terrain pour l’émigration du Prophète vers Médine. Comme l’explique Ibn al-Qayyim dans « Zâd al-Ma‘âd », cette émigration fut rendue possible par une série de dispositions providentielles, destinées à faciliter l’établissement de l’islam dans cette ville. C’est depuis Médine, centre d’unité et de renaissance, que la lumière de l’islam allait se répandre pour embrasser le monde entier.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

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L’opposition que les Arabes manifestèrent à l’égard du message de l’islam ne relevait pas uniquement de l’opiniâtreté ou d’un simple opportunisme. Il leur était véritablement difficile de concevoir qu’une religion différente de celle de leurs ancêtres, associés à la Ka‘ba, puisse incarner la vérité. Leur attachement au culte traditionnel était profond, et la Ka‘ba représentait pour eux bien plus qu’un sanctuaire : elle était le cœur sacré de leur identité religieuse et tribale. Cependant, certaines tribus arabes vivant au contact des communautés juives échappaient à ces conceptions figées. Elles avaient souvent entendu les juifs affirmer que leurs Écritures annonçaient l’avènement d’un Prophète parmi les Arabes. Ces paroles avaient éveillé une attente, particulièrement chez les Aws et les Khazraj, qui se virent ainsi préparés intellectuellement à accueillir un tel Prophète. Lorsqu’il se manifesta, leur adhésion fut d’autant plus naturelle et fluide. À La Mecque, en revanche, et chez nombre d’Arabes de la région, l’attachement au pouvoir symbolique et politique de la ville dominait toute autre considération. Ils évaluaient toute idée, toute croyance nouvelle à l’aune de leur volonté de préserver leur influence sur la Mecque. Dans la tradition ancienne, la Ka‘ba n’était pas seulement un lieu de culte : elle était la couronne sacrée d’un ordre tribal et spirituel. Or, cette couronne dépassait de loin un simple emblème de souveraineté. Contrairement à la couronne d’un roi, qui n’offre qu’un pouvoir temporel, la garde de la Ka‘ba conférait à celui qui en avait la charge un pouvoir à la fois politique et spirituel, enraciné dans des siècles de tradition.

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

Cinq ans avant l’émigration du Prophète à Médine, les habitants de cette ville rejettent son message sans détour. Pourtant, cinq ans plus tard, ces mêmes personnes embrassent l’Islam avec enthousiasme. Que s’est-il donc passé entre-temps ? Lors de leur premier contact avec le Prophète , les Médinois sont entièrement absorbés par leurs préoccupations militaires : leur unique obsession est de vaincre leurs ennemis. Ils n’ont ni la disponibilité ni l’état d’esprit pour accorder une quelconque attention aux questions spirituelles. Pour eux, Dieu et la vie après la mort sont des sujets secondaires, perçus comme des distractions face à l’urgence du combat. Les tribus des Aws et des Khazraj investissent toutes leurs ressources dans la guerre de Bu‘âth, mais cette confrontation ne leur apporte que ruine et désolation. Leur avenir semble compromis : les juifs de Médine, habiles stratèges, les dressent l’un contre l’autre, et l’anéantissement mutuel paraît inévitable. Cette prise de conscience marque un tournant. Les esprits s’ouvrent à d’autres perspectives : ils aspirent désormais à la paix plutôt qu’à la guerre, à l’unité plutôt qu’aux luttes intestines. Ils commencent à envisager leurs rapports avec les tribus voisines dans une optique nouvelle, dépassant le champ de bataille. Peu à peu, ils comprennent que le véritable problème réside moins dans l’opposition entre Aws et Khazraj que dans leur division face à des adversaires extérieurs. S’ils parviennent à s’unir autour d’une cause commune, ils pourraient former un front cohérent et puissant. Or, ce dont ils ont besoin pour panser les plaies des guerres tribales, c’est d’une foi capable de les rassembler et d’un chef reconnu par tous. Ils trouvent ces deux éléments en la personne du Prophète Muhammad et dans le message de l’islam. C’est pourquoi ils se rallient avec empressement à sa religion. Ainsi, paradoxalement, la guerre de Bu‘âth prépare le terrain à l’adhésion à l’Islam : en provoquant une profonde désillusion vis-à-vis de la violence, elle pousse les cœurs à rechercher la réconciliation. Et cette paix durable, ils la découvrent dans l’islam. Dès lors, unis dans la foi, les Aws et les Khazraj se mobilisent pour soutenir le Prophète . ‘Â’isha, que Dieu l’agrée, dira à ce sujet : « La guerre de Bu‘âth fut une guerre que Dieu fit survenir pour accorder Son soutien à Son Prophète . »

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

Ce sont généralement les questions qu’on appellerait aujourd’hui « nationalistes » qui, dans la terminologie moderne, captivent l’imaginaire de l’élite intellectuelle d’un peuple et donnent naissance à des mouvements populaires. Ces problématiques se posent également au Prophète , mais il les écarte délibérément. La réussite de sa mission dépend de son attachement rigoureux au plan divin mûri depuis plus de 2500 ans. S’il avait dévié en s’impliquant dans des luttes secondaires, les conditions providentielles préparées par Dieu auraient pu être compromises. L’histoire de la lettre adressée par le roi de Perse à son gouverneur illustre à quel point les questions liées à la domination étrangère aux confins de l’Arabie étaient devenues sensibles au moment où le Prophète entreprend sa mission. Il aurait pu appeler son peuple à se soulever contre l’occupation étrangère pour chasser les envahisseurs du sol arabe. Mais ce choix, bien qu’en apparence légitime, aurait contredit le dessein divin. Dieu ne veut pas que le Prophète se détourne de sa mission en s’engageant dans des conflits périphériques. Il doit se concentrer sur l’essentiel : transmettre le message de l’islam. L’histoire en témoigne : Bâdhân, tout comme une grande partie des chrétiens du Yémen, embrasse l’Islam. Un chef politique, à sa place, aurait recouru à des stratagèmes pour résoudre les problèmes d’occupation, usant de tous les moyens possibles. Le Prophète , au contraire, transmet avec sincérité les principes de l’islam, ce qui conduit à des conversions réelles et profondes. Le pouvoir étranger présent aux frontières de l’Arabie ne représentait pas seulement une menace territoriale : il faisait aussi obstacle à la mission spirituelle du Prophète . Celui-ci aurait pu s’en servir comme argument pour déclencher une lutte armée et affirmer que l’appel à Dieu ne pouvait être prêché qu’après l’élimination de toute domination extérieure. Mais cela aurait contredit le plan de Dieu, qui voulait que Byzance et la Perse, engagées dans un long conflit depuis plus de vingt ans, s’épuisent mutuellement. Lorsque l’heure vient pour ces empires de tomber, c’est après qu’ils ont, les premiers, provoqué les hostilités. Ainsi, les musulmans peuvent les vaincre plus aisément et initier les grands mouvements de libération de l’ère post-prophétique. Si l’affrontement avait eu lieu trop tôt, alors que les musulmans étaient encore faibles et que les empires ennemis demeuraient puissants, les résultats auraient été tout autres.

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

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