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PARTIE 23 : LE PREMIER SERMENT D’AL-‘AQABA (L’AN 12 DE L’HÉGIRE) ET LA MISSION DE MUS’AB B. ‘UMAYR À MÉDINE

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En l’an douze de la mission prophétique, les six Médinois qui s’étaient convertis l’année précédente lors du pèlerinage revinrent à La Mecque. Cette fois-ci, ils étaient douze : huit issus de la tribu des Khazraj et quatre de celle des Aws. Tous prêtèrent serment d’allégeance au Prophète . Ils s’engagèrent à ne rien associer à Dieu, à ne pas voler, à ne pas forniquer, à ne pas tuer, à ne pas calomnier, et à ne pas tuer leurs enfants. Ce serment est connu dans les ouvrages de Sîra sous le nom de « serment des femmes ». À ce propos, Dieu dit : « Prophète ! Si des croyantes se présentent à toi pour te prêter serment d’allégeance en s’engageant à ne pas donner d’associés à Dieu, à ne pas voler, à ne pas commettre de fornication ni d’infanticide, à ne pas attribuer à leurs maris d’enfants illégitimes et à ne pas te désobéir en ce qui est réputé convenable, alors accepte leur pacte et implore le pardon du Seigneur en leur faveur, car Dieu est Plein d’indulgence et de miséricorde » [60 : 12].

Le Prophète leur donna rendez-vous pour le pèlerinage suivant, en espérant voir leur foi s’affermir et leur nombre croître. Il envoya avec eux l’un de ses jeunes compagnons, un ambassadeur de l’islam : Mus‘ab b. ‘Umayr. Ce dernier accompagna les Médinois et s’installa chez As‘ad b. Zurâra, qui l’accueillit chez lui. Mus‘ab rencontra un immense succès à Médine. L’islam pénétra rapidement les foyers médinois, porté par la noblesse de son caractère et l’excellence de sa moralité. Son histoire avec Usayd b. Hudayr et Sa‘d b. Mu‘âdh illustre parfaitement cette progression. Au départ, la plupart des convertis étaient issus des Khazraj, tandis que les Aws demeuraient minoritaires. Un jour, Usayd et Sa‘d, tous deux chefs influents des Aws, décidèrent de chasser As‘ad et Mus‘ab. Sa‘d dit à Usayd : « Ces deux hommes sont venus ici pour détourner les faibles d’esprit. Va les chasser et ordonne-leur de quitter notre territoire. Si As‘ad n’était pas mon cousin, je les aurais moi-même expulsés. » Quand As‘ad vit Usayd approcher, il prit peur et demanda à Mus‘ab d’invoquer Dieu afin qu’Il les soutienne. Usayd, la lance à la main, les menaça et exigea qu’ils quittent la ville. Mais Mus‘ab, calme, lui dit : « Je te propose mieux. Assieds-toi, écoute ce que j’ai à te dire. Si cela te plaît, tant mieux. Si cela ne te plaît pas, je m’en irai. » Usayd s’assit et l’écouta. Mus‘ab lui récita alors un passage du Coran. Le visage d’Usayd se transforma. As‘ad témoigne : « Par Dieu ! J’ai su qu’il s’était converti avant même qu’il ne parle, tant son visage l’exprimait clairement ! » Usayd déposa sa lance et embrassa l’islam sur-le-champ. En voyant cela, Sa‘d b. Mu‘âdh se mit en colère et alla lui-même à la rencontre de Mus‘ab. Il tint les mêmes propos que son compagnon, et connut la même issue : il se convertit à son tour. De retour chez les Aws (plus précisément dans son clan des Banî ‘Abd al-Ashhal), Sa‘d leur dit : « Que savez-vous de moi ? » Ils répondirent : « Tu es notre chef, l’homme le plus sage et respecté. » Il leur déclara alors : « Si vous ne vous convertissez pas à l’islam avant ce soir, je ne vous adresserai plus jamais la parole. » Toute sa tribu se convertit dans la foulée, à l’exception d’un seul homme, al-Usayrim, qui ne devint musulman que le jour de la bataille d’Uhud, où il tomba en martyr. Le Prophète dit à son sujet : « Il a peu agi, mais immense sera sa récompense. » Les mois passèrent. La saison du pèlerinage approchait. Le nombre de croyants ne cessait de croître. Les Médinois se préparaient avec ferveur à retrouver le Messager de Dieu pour une nouvelle étape dans l’histoire de l’islam.

Après avoir énoncé les points constitutifs du serment, al-Ghazâlî conclut en ces termes : « Voilà donc ce à quoi le Prophète appelait, et que le polythéisme lui reprochait. Qui donc s’opposerait à un tel engagement, sinon un criminel animé par le désir de plonger les hommes dans la confusion et de semer la corruption sur terre ? »

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

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Nous ne trouvons aucune mention du jihâd (dans le sens de se défendre par les armes) parmi les conditions de l’allégeance faite au Prophète , car à ce moment précis, il n’avait pas encore reçu la révélation en prescrivant l’obligation. C’est pourquoi le serment d’allégeance des douze hommes ne faisait aucune allusion au jihâd. Les biographes du Prophète soulignent d’ailleurs que ce serment ressemblait à celui des femmes, dans la mesure où il ne comportait pas d’engagement militaire.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Mus‘ab n’avait rien à voir avec ces mercenaires déguisés en missionnaires que le colonialisme introduisit en Orient. Ceux-là s’asseyaient au chevet des malades pour leur dire : « Cette capsule t’est offerte par la Vierge » ou « Ce morceau de pain vient de Jésus ». Certains ouvraient des écoles ou des asiles qui affichaient, en façade, une culture désintéressée et une vertu pure, mais leur objectif réel était d’orienter la jeunesse, à son insu, dans une direction déterminée. Il s’agissait là d’un véritable brigandage spirituel, dissimulé sous les habits de la religion. Ces mascarades étaient encouragées par les États qui les envoyaient, et si leurs auteurs prenaient des risques, c’était parce qu’ils bénéficiaient d’un soutien inconditionnel. Mus‘ab, lui, n’avait derrière lui qu’un Prophète persécuté et un message en rupture avec l’ordre établi. Il ne disposait d’aucun moyen capable d’attirer les ambitieux ou les opportunistes. Tout ce qu’il possédait, c’était une finesse de discernement et une sagesse que le Prophète lui avait insufflées, ainsi qu’une fidélité totale envers Dieu qui l’avait conduit à renoncer à la richesse de sa famille et à son statut social pour l’amour de sa foi. Il avait aussi ce Coran, dont il récitait les versets avec tant de beauté qu’ils touchaient les esprits et attendrissaient les cœurs, qui s’ouvraient alors solennellement à la lumière de l’islam.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Quelle était la relation de ceux qui s’étaient convertis à l’islam avec la mission prophétique, et dans quelle mesure en portaient-ils la responsabilité ? L’exemple de l’envoi de Mus‘ab b. ‘Umayr à Médine, chargé de transmettre l’islam, d’enseigner le Coran, ses règles, et les rites de la prière, constitue en soi une réponse à cette question. Qui était donc Mus‘ab b. ‘Umayr ? Il était le jeune homme le plus riche, le plus élégant et le plus beau de La Mecque. Mais lorsqu’il embrassa l’islam, il renonça à tous ses privilèges, mit de côté luxe et confort, et se voua corps et âme à la mission du Prophète , le suivant partout. Il traversa des épreuves douloureuses et supporta de lourdes souffrances, jusqu’à tomber martyr à la bataille d’Uhud. Le Prophète et les Messagers de Dieu ne sont pas les seuls à porter la responsabilité de la transmission du message ; cette tâche incombe également à leurs successeurs. La prédication de l’islam fait partie intégrante de la religion. Nul ne peut s’y soustraire, quelle que soit sa fonction, son rang, son métier ou sa spécialisation. Le cœur même de cette mission se résume dans cet impératif : « Ordonner le bien et interdire le mal ». Lutter dans la voie de Dieu est un devoir imposé à tout musulman. Ainsi, l’expression « hommes de Dieu », utilisée pour désigner une catégorie restreinte de personnes, n’a aucun sens dans une société islamique. Tous les musulmans, hommes et femmes, instruits ou non, quelle que soit leur profession, sont tenus de se consacrer à leur foi. Chacun est appelé à servir la religion avec son âme et ses biens. Dieu leur a promis le Paradis en contrepartie de leur engagement à faire triompher Sa religion. Cela ne remet nullement en cause la fonction précieuse des savants, qui, par leurs études et leurs recherches spécialisées, aident les musulmans à mieux comprendre la législation islamique et à éclaircir ses difficultés à la lumière des lois divines immuables.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

On observe que la situation du Prophète commence ici à évoluer favorablement. Sa patience porte ses fruits, et sa mission commence à récolter ce qu’elle avait semé. Mais avant d’examiner les résultats positifs de ce tournant, il convient de revenir une fois encore sur l’extraordinaire patience dont le Prophète a fait preuve face aux épreuves les plus rudes. Nous avons vu qu’il n’a jamais limité son appel aux seuls Qurayshites, malgré leur hostilité tenace et leurs tentatives persistantes de le dissuader. Il allait à la rencontre des tribus venant des quatre coins de la péninsule à l’occasion du pèlerinage, les interceptant pour leur proposer le message de l’unicité de Dieu et les inviter à lui prêter allégeance. Il sillonnait les campements, interpellant les gens avec insistance, sans pourtant recevoir de réponse favorable à son appel. Durant onze années, il endure souffrances, insécurité et persécutions. Les Qurayshites ne manquent aucune occasion de tenter de l’éliminer. Rejeté au sein même de sa tribu, méconnu de ses voisins, marginalisé par les groupes et les tribus environnantes, il demeure malgré tout constant dans sa mission. Rien ne le détourne de son objectif, ni le rejet, ni l’indifférence, ni les menaces. Sa force, il la puise dans sa foi inébranlable en Dieu, en qui il place toute sa confiance.

Onze années de luttes acharnées et de persévérance pour la seule cause de Dieu : tel est le prix à payer pour qu’un jour, l’islam, semblable à une marée puissante, déferle sur l’Orient et l’Occident, anéantisse l’empire byzantin, fasse tomber la grandeur perse, et efface autour de lui des civilisations et des systèmes sociaux façonnés au fil des siècles. Dieu aurait certes pu établir l’islam sans soumettre Son Prophète à toutes ces souffrances. Il aurait pu Lui accorder la victoire dès les premiers instants. Mais telle n’est pas la voie qu’Il a tracée. Il a voulu que la foi en Lui soit un choix pleinement consenti, une soumission volontaire et sincère. L’adhésion à la vérité n’a de valeur que lorsqu’elle est acquise par l’effort. Et ce n’est qu’au prix de l’endurance et de l’épreuve que se distingue le sincère de l’hypocrite. Il n’est ni juste ni méritoire d’obtenir une victoire sans effort, ni de récolter un butin sans avoir payé son prix.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Lors du premier serment d’al-‘Aqaba, un nombre important de notables médinois embrassent l’islam. Mais quelles sont les modalités réelles de cette conversion, et quelles en sont les implications ? Leur adhésion à la foi ne se limite pas à la simple prononciation des deux attestations. Elle est bien plus profonde : elle traduit une conviction intime, ancrée dans le cœur, et se manifeste par la parole. Ce n’est pas un geste formel, mais un engagement à honorer les responsabilités contenues dans l’allégeance faite au Prophète . Les convertis s’engagent à suivre les principes, les normes éthiques et les règles de comportement définis par l’islam. Cela signifie croire en l’unicité absolue de Dieu, sans Lui associer de partenaires, s’abstenir du vol, rejeter la débauche, ne pas tuer leurs enfants, s’interdire tout acte infâme, par les mains ou les pieds, et ne pas désobéir au Messager de Dieu dans ce qui est juste. Ces engagements dessinent les contours fondamentaux de la société musulmane que le Prophète aspire à fonder. La mission prophétique ne consiste pas simplement à enseigner la profession de foi, puis à laisser les gens la répéter verbalement tout en menant une vie en contradiction avec ses principes. Certes, celui qui atteste de l’unicité de Dieu et de la mission de Muhammad , observe ce qui est licite, se tient à l’écart de ce qui est interdit, et se soumet aux prescriptions divines, mérite pleinement le nom de musulman. Mais cette croyance sincère est aussi la base nécessaire à l’établissement d’une société musulmane, où les principes révélés façonnent les lois, les jugements et les rapports sociaux, avec Dieu comme seul arbitre suprême. C’est pourquoi croire en Dieu et en Son Prophète implique nécessairement l’acceptation de la législation divine. Pourtant, certains – tout en refusant d’afficher leur rejet de l’islam – cherchent à instaurer une forme de compromis illusoire avec le Créateur. Ils aimeraient se réserver la gestion des lois sociales, des mœurs et des coutumes, laissant à l’islam le domaine des mosquées et des pratiques cultuelles. Ils veulent séparer l’adoration de Dieu de la gouvernance de la vie.

Mais si les tyrans et les prétentieux de l’histoire, ceux-là mêmes auxquels les Prophètes furent envoyés et qui rejetèrent leurs messages, avaient trouvé cette voie de compromis, ils auraient accepté l’islam sans renoncer à leur domination ni à leurs propres lois. Ils se seraient contentés de formules religieuses et de rituels symboliques. Mais ils savaient que l’islam exigeait d’eux une soumission entière à une législation qui ne venait ni d’eux ni de leurs traditions, mais directement de Dieu. C’est cette exigence de transformation radicale qui les poussa à se détourner du Prophète et de son appel. Dieu nous met en garde contre cette conception réduite et vidée de sens de la religion, en révélant : « N’est-il pas étonnant de voir ces gens qui prétendent croire à ce qui t’a été révélé et à ce qui a été révélé avant toi recourir à l’arbitrage des fausses divinités, qu’ils avaient pourtant reçu ordre de renier ? Ainsi, Satan veut les enfoncer encore davantage dans la voie de l’égarement » [4 : 60].

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Contrairement à la situation rencontrée à La Mecque, les grandes figures de Médine acceptent l’islam dès les premières invitations. Selon la tradition tribale de l’époque, les membres d’une communauté suivaient généralement la religion de leurs chefs. Cette adhésion des notables entraîne ainsi une propagation rapide de l’islam à travers la ville. En peu de temps, chaque foyer médinois est touché par le message du Prophète . Il devient alors naturel que les musulmans, désormais majoritaires à Médine, s’imposent progressivement comme la force principale dans la gestion des affaires locales. C’est dans ce contexte que, selon les propos rapportés par al-Tabarânî, « les musulmans devinrent les gens les plus influents de Médine ».

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

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