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PARTIE 21 : LE VOYAGE NOCTURNE (ISRÂ’) ET L’ASCENSION (MI’RÂJ)

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Le Messager de Dieu ﷺ revient de son excursion à Taïf, le cœur confiant et plein d’espoir. Il sait que son Seigneur ne l’a pas abandonné. En récompense de sa patience face à la mort d’Abû Tâlib et de Khadîja, ainsi que face aux nombreuses épreuves endurées depuis le début de la révélation, Dieu l’honore d’un immense privilège : Il l’invite auprès de Lui et l’élève jusqu’aux plus hauts cieux. Il lui fait vivre un voyage nocturne (isrâ’) suivi d’une ascension céleste (mi‘râj). Ce voyage apparaît donc comme une marque d’honneur divine et un immense réconfort adressé au cœur du Messager de Dieu ﷺ. Le Coran évoque ce miracle dans une sourate entière – la sourate 17 – qui en porte le nom. En ouverture, Dieu dit : « Gloire à Celui qui fit voyager de nuit Son serviteur de la Mosquée sacrée à la Mosquée la plus éloignée dont Nous avons béni les alentours, afin de lui faire découvrir certains de Nos signes ! Dieu est, en vérité, l’Audient et le Clairvoyant » [17 : 1]. Quant à la date de cet événement, les avis divergent : certains savants avancent qu’il eut lieu un an avant l’hégire, d’autres deux ans, voire trois ans auparavant. Toutefois, tous s’accordent à dire qu’il eut lieu après le retour du Prophète ﷺ de Taïf.

Le voyage nocturne

Des savants du hadith rapportent que le Prophète ﷺ est étendu de nuit sur sa cape, près de la Ka‘ba, lorsque ce miracle se produit. Selon une autre version, il dort dans la maison d’Umm Hâni’, sœur de ‘Alî b. Abî Tâlib. D’autres savants musulmans affirment qu’il se trouve tout simplement chez lui. Quoi qu’il en soit, il sent l’ange Gabriel à ses côtés, venu le réveiller pour lui annoncer l’excursion qu’ils s’apprêtent à entreprendre ensemble : de la mosquée al-Harâm (sacrée) à la mosquée al-Aqsâ (la plus éloignée), puis des cieux jusqu’à la rencontre du Seigneur. Le Prophète ﷺ voyage sur un animal céleste nommé al-Burâq. D’après sa description, il s’agit d’une monture plus grande qu’un âne mais plus petite qu’une mule, et dont chaque pas couvre la distance de son propre champ de vision. En compagnie de l’ange Gabriel, il arrive à la mosquée al-Aqsâ et y attache soigneusement sa monture à un anneau fixé à l’entrée du sanctuaire. Bien que cette dernière n’ait aucune raison de fuir, le Prophète ﷺ prend tout de même soin de l’attacher. Ce geste enseigne que la confiance en Dieu ne dispense jamais de l’effort préalable.

L’ascension céleste débute depuis Jérusalem, plus précisément depuis la mosquée al-Aqsâ, et non depuis La Mecque ni Médine — un détail qui souligne l’importance unique de cette ville en islam. D’ailleurs, un hadith du Prophète ﷺ indique : « Les grands voyages (dans une intention cultuelle) ne doivent s’effectuer que vers trois mosquées : la mosquée al-Harâm (La Mecque), ma mosquée (Médine) et la mosquée al-Aqsâ (Jérusalem) » (al-Bukhârî et Muslim). Dans un autre hadith, il affirme : « Une prière dans la mosquée al-Harâm équivaut à 100 000 prières ; une prière dans ma mosquée équivaut à 1000 prières ; et une prière dans la mosquée al-Aqsâ équivaut à 500 prières » (Ibn Mâjah et Ahmad).

Avant de monter au ciel, le Prophète ﷺ dirige la prière commune avec tous les Prophètes qui l’ont précédé. Ce moment solennel manifeste qu’il est bien le Sceau des Messagers. L’ange Gabriel lui présente alors deux récipients : l’un contenant du lait, l’autre du vin. Le Prophète ﷺ choisit le lait. L’ange, ravi, lui dit : « Tu t’es bien orienté vers la nature humaine (fitra), et ta nation est bien guidée, ô Muhammad. » Ce choix symbolique du lait reflète l’harmonie parfaite entre l’islam et la fitra : une religion dont les enseignements épousent naturellement les besoins profonds de l’être humain.

L’ascension du Messager de Dieu

Pendant son voyage d’ascension, le Prophète ﷺ traverse les cieux en quelques instants et rencontre plusieurs prophètes. Il trouve, dans le premier ciel, Adam (Âdam) ; dans le deuxième, Jésus (‘Îsâ) et Jean-Baptiste (Yahyâ) ; dans le troisième, Joseph (Yûsuf) ; puis  Hénoch (Idrîs) dans le quatrième ; Aaron (Hârûn) dans le cinquième ; Moïse (Mûsâ) dans le sixième ; et enfin Abraham (Ibrâhîm) dans le septième ciel. Tous ces prophètes ont connu l’épreuve du rejet et de l’ignorance. Leur rencontre soutient profondément le Prophète ﷺ. Jusque-là, il ne connaît leurs histoires qu’à travers la révélation ; cette fois-ci, il les voit, les entend et les salue. À chaque ciel, un ange veille et n’ouvre l’accès qu’avec autorisation. Lorsque le Prophète ﷺ rencontre Moïse, les deux prophètes s’échangent des salutations. Moïse exprime alors sa foi en la mission de Muhammad ﷺ. Mais au moment de le laisser poursuivre, il se met à pleurer. Le Prophète ﷺ lui demande pourquoi. Il répond : « Je pleure parce qu’un Messager, envoyé après moi, fera entrer au Paradis plus de gens de sa communauté que moi. » Au septième ciel, le Prophète ﷺ rencontre Abraham, appuyé contre al-Bayt al-Ma‘mûr (Ka‘ba céleste). Certains historiens rapportent qu’il s’agit d’une maison céleste située exactement au-dessus de la Ka‘ba, et au-dessus de laquelle se trouve le Trône de Dieu. Le Prophète ﷺ rapporte que chaque jour, 70 000 anges tournent autour de cette Ka‘ba céleste (tawâf), et qu’ils ne reviennent jamais : le lendemain, 70 000 nouveaux anges prennent leur place. Cela montre à quel point le nombre des anges dépasse de loin celui des humains.

Durant cette ascension, le Prophète ﷺ voit de nombreuses scènes, parfois très effrayantes. Ibn Ishâq rapporte ces paroles du Messager de Dieu ﷺ : « Lorsque je suis entré dans le ciel inférieur, j’ai vu un homme assis, devant lequel se présentaient les âmes des hommes. Il disait à l’une : ‘Bien’, s’en réjouissait et ajoutait : ‘Une bonne âme sortie d’un bon corps.’ À une autre, il disait : ‘Ouf !’, se renfrognait et ajoutait : ‘Une âme vile sortie d’un corps vil.’ J’ai demandé à Gabriel : ‘Qui est-ce ?’ Il répondit : ‘C’est ton grand-père Adam. Les âmes de sa descendance lui sont présentées : quand c’est l’âme d’un croyant, il s’en réjouit ; quand c’est celle d’un mécréant, il la repousse’. » Le Prophète ﷺ dit encore : « J’ai vu des hommes avec des lèvres semblables à celles des chameaux. Dans leurs mains, ils tenaient des morceaux de feu gros comme des pierres qu’ils jetaient dans leurs bouches et qui ressortaient par leurs derrières. J’ai demandé à Gabriel : ‘Qui sont ces gens ?’ Il répondit : ‘Ce sont ceux qui dévoraient injustement les biens des orphelins.’ » Et encore : « J’ai vu des hommes avec d’énormes ventres, sur le chemin de la Famille de Pharaon. Ils étaient piétinés sans pouvoir bouger. J’ai demandé : ‘Qui sont ces gens ?’ Il répondit : ‘Ce sont les usuriers.’ » Et aussi : « J’ai vu des hommes ayant devant eux une belle viande grasse, et à côté, une chair mauvaise et puante. Ils délaissaient la bonne pour manger la mauvaise. J’ai demandé à Gabriel : ‘Qui sont-ils ?’ Il dit : ‘Ce sont ceux qui abandonnaient les femmes que Dieu leur avait rendues licites, pour aller vers celles que Dieu leur avait interdites.’ » Enfin, le Prophète ﷺ dit : « J’ai vu des femmes suspendues par leurs poitrines. J’ai demandé : ‘Qui sont-elles ?’ Il répondit : ‘Ce sont celles qui attribuaient à leurs maris des enfants qui n’étaient pas d’eux.’ »

Le voyage se poursuit jusqu’à ce que le Prophète ﷺ, accompagné de l’ange Gabriel, atteigne un point ultime. C’est là que Gabriel s’arrête et lui dit : « Je ne peux plus avancer au-delà de ce point. Si tu avances, tu pénétreras, mais si j’avance, je brûlerai. » Ce lieu est connu sous le nom de Sidrat al-Muntahâ (le Lotus de la Limite), un point que nul n’a jamais dépassé. Gabriel reprend sa forme originelle, se retire, et laisse le Prophète ﷺ continuer seul. À ce sujet, Dieu dit : « Allez-vous donc lui contester ce qu’il a de ses propres yeux vu, et alors qu’il l’avait déjà vu lors d’une précédente apparition, près du Lotus de la Limite, non loin du Jardin du séjour des bienheureux, au moment où un voile indéfinissable recouvrait le Lotus ? Le regard du Prophète n’a ni dévié ni outrepassé la mesure, et c’est ainsi qu’il lui fut donné de voir certains des plus grands signes de son Seigneur » [53 : 12 à 18]. C’est durant cette ascension que le Prophète ﷺ rencontre Dieu et reçoit l’injonction des cinq prières quotidiennes. Il reçoit également la révélation du verset fondamental qui fixe les éléments du credo (‘aqîda) de l’islam : « Le Prophète croit pleinement à ce que lui a révélé son Seigneur, ainsi que les fidèles. Tous ensemble croient en Dieu, à Ses anges, à Ses Écritures et à Ses messagers, sans faire aucune distinction entre Ses prophètes. Ils affirment : ‘Nous avons entendu et nous avons obéi. Pardonne-nous, Seigneur, car c’est vers Toi que tout doit faire retour !’ » [2 : 285].

Lorsque le Prophète ﷺ fait demi-tour, il rencontre à nouveau Moïse. Celui-ci lui demande ce que Dieu lui a prescrit, et lorsqu’il apprend qu’il s’agit de cinquante prières quotidiennes, il lui conseille de revenir vers Dieu pour demander un allègement. Il lui dit : « Ta communauté ne pourra pas supporter cela. J’ai moi-même imposé un nombre de prières similaire à mon peuple, et ils n’ont pas pu le supporter. » Le Prophète ﷺ revient alors vers son Seigneur, et Dieu réduit le nombre à quarante. Mais Moïse lui réitère son conseil, et le Prophète ﷺ revient à nouveau. Cela se répète jusqu’à ce que les prières soient réduites à cinq par jour. Dieu dit alors que ces cinq prières auront la récompense de cinquante, par Sa grâce et Sa miséricorde. Le Prophète ﷺ voit au Paradis quatre fleuves : deux apparents – le Nil et l’Euphrate – et deux cachés. Il aperçoit aussi Mâlik, le gardien de l’Enfer, dont le visage est sombre et impassible.

Le retour du Prophète à la Mecque

Lorsque le Prophète ﷺ arrive à La Mecque, il raconte le récit de son voyage nocturne aux Qurayshites. La plupart des gens s’étonnent et disent : « Voilà une chose vraiment incroyable. Les chameaux mettent un mois pour aller jusqu’en Syrie et un mois pour en revenir. Et lui prétend avoir fait l’aller-retour en une seule nuit ?! » Selon certains historiens, cette annonce ébranle la foi de quelques musulmans faibles, au point que certains apostasient. Voyant cela, les négateurs s’empressent d’aller voir Abû Bakr, espérant qu’il désavouerait son compagnon. Ils savent que son influence est forte et qu’un désaveu de sa part entraînerait probablement de nombreux croyants à douter, voire à renoncer à leur foi. Mais Abû Bakr, avec une foi inébranlable, leur répond : « S’il l’a dit, alors il a dit vrai. Ne le crois-je pas sur bien plus que cela ? » Il fait allusion à la Révélation elle-même, qu’il accepte sans réserve. C’est à cette occasion que le Prophète ﷺ lui confirme le titre d’al-Siddîq, « le véridique », celui qui croit avec fermeté. Les Qurayshites, toujours incrédules, demandent alors au Prophète ﷺ de leur décrire la mosquée al-Aqsâ. À cet instant, Dieu lui en montre une vision claire, et le Prophète ﷺ la décrit avec une grande précision. Ils exigent ensuite une preuve concrète de son passage. Le Prophète ﷺ leur parle alors d’une caravane de La Mecque qu’il a croisée en route et qui, selon lui, arrivera avec du retard. Il en donne les détails, décrit ses bêtes et ses chargements. Pourtant, malgré cette information vérifiée par la suite, les Qurayshites persistent dans leur négation.

Des savants estiment que ce voyage prodigieux s’est accompli avec l’âme seule. D’autres — et ils constituent la majorité — affirment qu’il s’est produit à la fois avec l’âme et le corps. Le docteur Haykal propose, quant à lui, une lecture particulière : « Il s’agit d’une cohésion, sur les plans intellectuel et psychique, entre l’éternité passée et la perpétuité de l’existence, en un moment d’élévation sublime, propre à l’être humain pur et éminent qu’est Muhammad . Lors de cette apothéose transcendante, Muhammad saisit les vérités de la religion et de la vie, les représentations de la rétribution et du châtiment, etc. » Haykal considère ainsi que le voyage nocturne fut un événement réel, mais spirituel, non physique — et cela en état d’éveil, et non de sommeil. Il ne s’agit pas, selon lui, d’une vision spirituelle comme il en survient parfois, mais d’une réalité vécue selon cette dimension particulière. Il ajoute : « Une telle élévation n’est accessible qu’à une force qui transcende la nature humaine. » Il est vrai qu’aujourd’hui, les frontières entre les forces spirituelles et les forces physiques tendent à s’estomper, à la lumière des découvertes scientifiques. La science a démontré que l’univers physique est aussi vaste et mystérieux que le monde spirituel, et que la nature profonde de la matière n’est pleinement connue que par le Seigneur des cieux et de la terre. L’atome, cet élément infinitésimal, reproduit à sa manière le modèle du système solaire par sa forme et son mouvement ; il renferme une énergie colossale, dont l’explosion a produit des effets dévastateurs.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

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L’ascension et le voyage nocturne furent accomplis à la fois spirituellement et corporellement : tel est l’avis partagé par la majorité des savants, anciens comme modernes. Dans son commentaire de l’authentique de Muslim, l’imam al-Nawawî affirme clairement : « L’opinion majoritaire des théologiens musulmans, anciens et contemporains, est que le Prophète a bien effectué le voyage nocturne avec son corps. Les preuves issues des récits transmis à ce sujet sont nombreuses, explicites et sans ambiguïté pour quiconque les étudie sérieusement. » Ibn Hajar, dans son commentaire de l’authentique d’al-Bukhârî, va dans le même sens : « Le voyage nocturne (isrâ’) et l’ascension (mi‘râj) ont eu lieu au cours d’une seule nuit, à la fois corporellement et spirituellement. Cet avis est partagé par une multitude de spécialistes du hadith et de théologiens, et appuyé par des faits sûrs, à la fois transmis et rationnels, qui ne laissent place à aucun doute. » Par ailleurs, la réaction des polythéistes de Quraysh confirme elle aussi la nature corporelle de cet événement. Leur étonnement excessif, leur rejet farouche, leurs moqueries et leur empressement à mettre le Prophète au défi en lui demandant de décrire en détail le Temple sacré, avec ses portes et ses colonnes, prouvent qu’il ne s’agissait nullement d’un simple rêve. Si tel avait été le cas, ils ne lui auraient accordé aucune attention : les visions nocturnes sont communes à tous, croyants comme polythéistes, et ne provoquent pas de telles contestations. Ce miracle, comme tous les autres prodiges liés aux prophètes, s’inscrit naturellement dans la trame de l’univers. Il n’a rien d’impossible pour qui reconnaît que le monde lui-même est une suite ininterrompue de merveilles. L’esprit peut admettre ce miracle avec la même facilité qu’il reconnaît ceux inscrits dans l’ordre naturel de la création.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Comment le voyage nocturne et l’ascension du Prophète ont-ils eu lieu ? Par quel moyen de transport ? C’est à dos du Burâq que le Prophète fut emmené — une créature surnaturelle capable de se déplacer à la vitesse de la lumière. D’ailleurs, son nom dérive du mot arabe barq, qui signifie « éclair », ce qui laisse entendre que ce voyage s’est déroulé sous l’effet d’une énergie d’une puissance comparable à celle de l’électricité. Or, le corps humain, dans son état ordinaire, ne peut supporter un tel déplacement — ni la vitesse, ni l’intensité de l’expérience. Il fallait donc une préparation spéciale, une transformation profonde, qui immunise le corps et l’âme du Prophète pour affronter un tel voyage. C’est dans ce sens qu’on peut interpréter, avec profondeur symbolique, le récit de l’ouverture de sa poitrine, du lavage de son cœur et de sa remise en place : autant de signes d’une purification intérieure et d’un renforcement spirituel décisif. Le récit du voyage nocturne et de l’ascension regorge de symboles subtils, trop fins pour être saisis par les esprits naïfs ou superficiels. Ce voyage exceptionnel survint alors que le Prophète avait atteint, par son âme, un sommet d’illumination spirituelle, tandis que son corps, allégé de sa densité terrestre, s’était affranchi des lois physiques habituelles. Comprendre un tel phénomène implique une juste appréhension de la réalité du corps et de l’âme, ainsi que des forces et propriétés que Dieu leur a conférées. Mais plutôt que de nous attarder sur ces dimensions métaphysiques, il est plus utile de nous concentrer sur le lien profond qui unit cet événement à la mission prophétique de Muhammad et au message universel de l’Islam. C’est à cette lumière — en tant qu’enseignement spirituel, message de guidance, et source de législation — que le voyage nocturne et l’ascension prennent tout leur sens. D’ailleurs, la psychologie moderne n’a vraiment connu son essor qu’après s’être émancipée des spéculations confuses autour de la nature de l’âme, pour se recentrer sur ses manifestations, ses ressorts, et sa transformation possible.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Pourquoi l’ascension vers le Lotus de la limite (sidrat al-muntahâ) commença-t-elle depuis la mosquée al-Aqsâ et non depuis la mosquée sacrée de La Mecque ? Pour répondre à cette question, un bref rappel historique s’impose. Pendant longtemps, la prophétie fut l’apanage exclusif des descendants d’Israël (Jacob). Jérusalem était alors le centre de la révélation, le cœur spirituel de la Terre Sainte et la capitale du peuple que Dieu avait élu. Mais lorsque les descendants d’Israël trahirent la confiance divine, altérèrent la révélation, et transgressèrent les lois célestes, ils furent frappés de la malédiction divine. Dès lors, la prophétie leur fut retirée à jamais. Avec la révélation descendue sur le Prophète Muhammad , un basculement décisif se produisit : la souveraineté spirituelle dans le monde fut transférée à une autre communauté, dans un autre territoire, à la descendance d’Ismaël après celle d’Israël. Ce transfert suscita chez les Juifs une vive colère et un profond rejet. Le Coran décrit leur réaction en ces termes : « Combien est vil le prix contre lequel ils ont troqué leurs âmes lorsqu’ils ont nié ce que Dieu a révélé et ce, uniquement par dépit, car ils n’ont pas pu admettre que Dieu, par un effet de Sa grâce, ait choisi certains de Ses serviteurs pour les gratifier de la révélation ! Ils se sont ainsi attiré doublement la colère du Seigneur et le châtiment ignominieux qui sera réservé aux infidèles » [2 : 90]. Mais telle était la volonté de Dieu. La mission prophétique fut désormais confiée à une nouvelle communauté, chargée de porter la lumière de la foi. Le Prophète arabe reçut en héritage les enseignements d’Abraham, d’Ismaël, d’Isaac et de Jacob, et s’attela à les faire revivre, à les unifier et à fonder sur leur base une fraternité humaine renouvelée. Le voyage nocturne jusqu’à Jérusalem s’inscrit ainsi comme un lien spirituel entre le passé et le présent, entre les héritages prophétiques successifs. Le fait que le Prophète ait été transporté à al-Aqsâ avant de s’élever vers les cieux, vient honorer ce lieu anciennement sanctifié par la foi, et l’inscrire définitivement comme le troisième sanctuaire de l’islam. Il incarne cette continuité prophétique qui relie les messages révélés et affirme l’unicité de leur source.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

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Parmi les enseignements majeurs de l’expérience spirituelle extraordinaire vécue par le Prophète figure incontestablement la place centrale de Jérusalem. À cette époque, il priait encore tourné vers la ville sainte, première direction de la prière, et c’est précisément sur l’esplanade du Temple qu’il dirigea la prière en présence de l’ensemble des Prophètes. Ainsi, Jérusalem incarne, au cœur même de l’expérience prophétique de Muhammad , un double symbole : celui de la centralité, en tant que première qibla (direction de prière), et celui de l’universalité, à travers cette prière commune avec tous les Prophètes. Plus tard, l’orientation de la prière changera à Médine, passant de Jérusalem à la Ka‘ba, afin d’opérer une distinction nette avec le judaïsme. Toutefois, ce changement n’implique nullement une diminution du statut spirituel de Jérusalem. Le verset célèbre de la sourate al-Isrâ’ [17 : 1] – qui relie la Mosquée sacrée (al-masjid al-Harâm) à la Mosquée lointaine (al-masjid al-Aqsâ) – affirme au contraire la continuité sacrée entre ces deux lieux bénis et leur rôle conjoint dans l’histoire de la Révélation.

Tariq Ramadan (Muhammad, vie du Prophète)

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Le fait que le Prophète ait accompli le voyage nocturne jusqu’au Temple de Jérusalem, puis l’ascension vers les cieux, en une seule nuit, montre clairement l’importance exceptionnelle de ce sanctuaire aux yeux de Dieu, ainsi que le lien profond qui unit les missions de Jésus, fils de Marie, et de Muhammad , fils de ‘Abdallâh. Tous les Prophètes sont en réalité porteurs d’une même religion, d’un même message fondamental, qu’ils ont pour mission de transmettre. Ce miracle invite les musulmans, à travers les époques, à protéger cette terre bénie et à la défendre contre les convoitises des ennemis de la foi et des étrangers. Par sagesse, Dieu a voulu préserver les croyants d’aujourd’hui du découragement, et leur insuffler l’espérance et la détermination de ne jamais renoncer à la défense de cette terre sacrée, actuellement occupée par ceux qui en ont détourné le sens sacré. Peut-être est-ce l’exemple sublime du voyage nocturne qui inspira à Salâhuddîn al-Ayyûbî (Saladin) ce zèle ardent et cette énergie spirituelle qui lui permirent de repousser les Croisés hors de Jérusalem, et de libérer la ville sainte pour la rendre à ceux qui en sont dignes : des croyants sincères qui œuvrent à la purifier du polythéisme et des profanations.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Dieu réunit à la mosquée al-Aqsâ les anciens Messagers porteurs de la guidée pour accueillir le Prophète du message ultime. Les révélations divines se confirment mutuellement, chaque mission prophétique prépare la venue de la suivante, dans une continuité parfaite. Dieu dit : « Dieu reçut un jour l’engagement des prophètes en leur disant : ‘Quelle que soit l’importance de l’Écriture et de la sagesse que Je vous ai données, lorsqu’un nouveau prophète viendra vous confirmer ce que vous savez déjà, croyez en lui et prêtez-lui votre entier concours.’ Et Dieu insista : ‘Y consentez-vous ? En assumerez-vous la responsabilité ?’ – ‘Nous y consentons’, répondirent-ils. Et Dieu de conclure : ‘Soyez-en témoins ; J’en témoigne de même’ » [3 : 81]. Selon une tradition authentique, le Prophète dirigea à cette occasion une prière de deux unités, à laquelle prirent part tous les Prophètes. Ce geste symbolique consacre l’islam comme la dernière parole divine adressée à l’humanité, une parole parfaite, portée par Muhammad , et précédée par les missions de nobles serviteurs qui en furent les prémices. Il ne s’agit pas ici d’un hommage cérémoniel rendu au Prophète ou à sa religion, mais bien de la proclamation d’une vérité fondamentale dans l’histoire spirituelle de l’humanité : depuis que le ciel s’est engagé à guider la terre, ce moment marque l’aboutissement de cette guidance, venue au moment le plus opportun.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Dieu prépara ce voyage exceptionnel à Son Prophète pour le rassurer, l’apaiser, et lui faire goûter Ses bienfaits après les souffrances et les tourments endurés. Par cette grâce, Il lui montra l’attention constante dont Il le couvre depuis le jour où il proclama l’unicité de Dieu, L’adora et appela l’humanité à adorer Dieu l’Unique. Le Prophète disait alors : « Peu m’importe, tant que Tu n’es pas en colère contre moi. » Cette nuit-là, il reçut la confirmation de sa haute valeur auprès de Dieu, et de son rang privilégié parmi les vertueux élus. Le voyage nocturne et l’ascension se produisirent à mi-chemin des vingt-trois années de sa mission prophétique : ils vinrent comme un baume sur les blessures du passé et comme un présage éclatant de la victoire future. La vision de certains des signes les plus sublimes dans les royaumes des cieux et de la terre eut un effet décisif sur le cœur du Prophète . Il comprit alors, avec une certitude parfaite, que les ruses des négateurs seraient vouées à l’échec. Leur nombre ne pourrait faire obstacle à l’Appel divin, ni les préserver du sort qui les attend s’ils persistaient dans leur négation. Enfin, certaines traditions rapportent que le Prophète , durant cette nuit bénie, fut témoin de scènes illustrant la rétribution des justes et des impies. En réalité, ces visions lui furent montrées durant une nuit ordinaire, dans son sommeil, comme le précisent les récits authentiques.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Au cours de ce voyage spirituel d’une portée inégalée, le Prophète comprit que son message se répandrait sur toute la surface de la terre et s’enracinerait dans les terres fertiles des vallées du Nil et de l’Euphrate. Ce serait le début du déclin du mazdéisme et de la doctrine trinitaire. Plus encore, les peuples de ces régions deviendraient les porteurs de l’étendard de l’islam à travers les générations. Telle est la signification de la vision des fleuves du Nil et de l’Euphrate dans le Paradis. Il ne s’agit aucunement de croire, comme le font certains esprits naïfs, que leurs sources physiques se trouvent littéralement dans le paradis. Al-Tirmidhî rapporte par exemple que le Prophète a dit : « Si l’on vous offre du basilic, n’y renoncez pas, car il provient du paradis. » Mais cela ne signifie évidemment pas que les feuilles de basilic que nous cueillons dans les champs proviennent matériellement du paradis. Il faut saisir ici le sens spirituel et symbolique de ces propos.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Dieu accorde à Ses messagers la vision de certains signes éclatants de Sa puissance, afin de raffermir leur cœur dans la confiance, d’intensifier leur certitude, et de les fortifier face à l’opposition des négateurs et à la tyrannie de leurs pouvoirs établis. Avant d’envoyer Moïse auprès de Pharaon, Dieu voulut lui faire voir quelques-uns de Ses signes les plus impressionnants. Il lui dit : « Jette-le, ô Moïse ! » Et lorsqu’il jeta son bâton, « il se transforma en un serpent qui rampait ! » Puis Dieu lui dit : « Prends-le. Ne crains rien ! Nous allons le ramener à son état premier. Maintenant, serre ta main sous ton aisselle ; elle en ressortira toute blanche sans aucun mal, et ce sera là un autre prodige, pour te montrer certains de Nos plus grands signes » [20 : 19 à 23]. Ce n’est qu’après lui avoir montré ces merveilles que Dieu lui dit : « Va trouver Pharaon dont l’impiété ne connaît plus de limites ! » [20 : 24].

En ce qui concerne le Prophète , l’événement du voyage nocturne et de l’ascension survient environ douze années après le début de la révélation. Contrairement à l’époque de Moïse, les miracles dans la mission du Prophète Muhammad n’avaient pas pour but premier de convaincre les peuples ni de réduire ses adversaires au silence. La voie qu’il suivait — et que traçait le Coran — reposait d’abord sur la raison, la réflexion, l’appel au cœur et à l’intelligence. Le Coran seul suffisait à établir la véracité de son message pour ceux qui cherchaient la vérité. Les miracles qui accompagnaient la mission du Prophète étaient offerts non pas comme réponse aux provocations des négateurs, mais comme marques d’honneur et de réconfort divin. Dieu dit à ce sujet : « Dis : ‘Gloire à mon Seigneur ! Suis-je donc autre chose qu’un être humain envoyé comme Prophète ?’ » [17 : 93]. Ainsi, l’ascension du Prophète ne fut pas une démonstration imposée aux négateurs, mais un don intime et une élévation spirituelle offerte par Dieu à Son serviteur élu, pour l’enseigner, le réconforter et l’élever à un rang unique.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

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Le Prophète endura de nombreuses exactions de la part des Qurayshites, et son émigration à Taïf marqua le sommet de l’épreuve. Lorsqu’il se réfugia dans le jardin des fils de Rabî‘a, épuisé et blessé, son invocation fut l’expression poignante de la faiblesse humaine et de cette dépendance totale qui fait de l’homme un véritable serviteur de Dieu. En s’adressant à son Seigneur, le Prophète exprima une plainte empreinte d’espoir, une supplication sincère dans laquelle il cherchait réconfort et soutien. Il redoutait peut-être d’avoir suscité la colère divine. C’est pourquoi il ajouta ces mots sublimes : « Si Tu n’es pas en colère contre moi, alors je ne me soucie de rien. » Le voyage nocturne et l’ascension furent, de la part du Très-Haut, une marque éclatante d’honneur et un réconfort divin. Ces dons spirituels venaient confirmer que les souffrances infligées par sa tribu n’étaient nullement le signe d’un abandon de Dieu ni d’une quelconque réprobation céleste, mais relevaient d’une sagesse divine plus vaste. Elles traduisaient une loi spirituelle établie : celles et ceux que Dieu aime sont éprouvés, car l’épreuve est le sceau des âmes sincères et la voie de l’élévation. Il en est ainsi de la tradition prophétique, hier comme aujourd’hui, ici comme ailleurs.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Le récit du voyage nocturne et de l’ascension révèle la profonde affinité entre les Prophètes — un principe fondamental de l’Islam. Dieu dit : « Le Prophète croit pleinement à ce que lui a révélé son Seigneur, ainsi que les fidèles. Tous ensemble croient en Dieu, à Ses anges, à Ses Écritures et à Ses messagers., sans faire aucune distinction entre Ses prophètes » [2 : 285]. Chaque étape céleste du voyage fut marquée par cette fraternité : dans chaque ciel, un Prophète accueillait Muhammad avec bienveillance, disant : « Bienvenue à toi, ô frère vertueux ! » La prétendue divergence entre les Prophètes est un leurre forgé par les communautés qui se sont éloignées du droit chemin — ou, plus souvent encore, par certains religieux qui exploitent la religion à des fins mondaines. Le Prophète a clairement affirmé qu’il venait parachever l’œuvre de ses frères envoyés avant lui, veillant à préserver l’édifice spirituel de toute fissure. Il a dit : « Mon exemple, parmi les Prophètes qui m’ont précédé, est celui d’un homme qui a bâti une maison parfaite à laquelle il ne manquait qu’une seule brique dans un coin. Les gens la contemplaient et disaient : ‘Quelle belle construction ! S’il n’y avait pas cette brique manquante’. C’est moi cette brique, et je suis le dernier des Prophètes. » Les religions fondées sur la révélation authentique sont connues : elles n’ont rien à voir avec les pratiques idolâtres introduites par les hommes, ni avec les cultes inventés comme le brahmanisme ou le bouddhisme, ni avec certaines sectes modernes, tel le bahaïsme ou le qadianisme, soutenues par les puissances coloniales dans le but d’entraver l’élan de libération spirituelle des peuples musulmans. Si des individus sincères, mus par la quête de vérité, œuvraient à établir des fondements communs entre les religions révélées — en valorisant leurs principes partagés et en refusant d’instrumentaliser leurs différences —, il serait possible de bâtir une véritable unité religieuse sur des bases justes et durables. L’islam, en tant qu’aboutissement des révélations prophétiques précédentes et en continuité avec elles, accueille favorablement un tel esprit d’unité et de reconnaissance mutuelle.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Le lait que but le Messager de Dieu symbolise la pureté de la fitra — cette disposition naturelle qui est l’essence même de l’islam. Il est impensable que les portes du ciel s’ouvrent à un être aux intentions corrompues et au cœur vicié. Une nature pervertie ne peut engendrer que désordre intérieur et ignominie. Il arrive même que cette noirceur se dissimule derrière des apparences séduisantes. Il se peut que la piété, lorsqu’elle n’est qu’un masque, serve à dissimuler une âme malade. Une telle dévotion factice est parfois plus abjecte encore que les excès les plus flagrants. À mesure que les civilisations progressent, les hommes tendent à multiplier les artifices et s’imposent des formes de culte de plus en plus pesantes. Mais bien souvent, ces formes ne font qu’éloigner de la clarté, de la beauté et de la simplicité limpide de la fitra. Rien n’est plus détestable à Dieu que de voir des hommes ériger, au nom de la religion, des chaînes qui emprisonnent les âmes et leur interdisent d’accéder à la liberté lumineuse de la sincérité.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

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En choisissant le lait plutôt que le vin, le Prophète posa un geste hautement symbolique : il affirma par là que l’islam est la religion de la fitra, l’innéité — c’est-à-dire la voie qui s’accorde en profondeur, dans sa doctrine comme dans ses prescriptions, avec les exigences les plus authentiques de la nature humaine. Il n’existe dans l’islam aucune règle, aucune orientation, qui entre en contradiction avec la nature humaine dans ce qu’elle a de plus pur et de plus vrai. On pourrait dire que cette religion est, pour l’homme, comme un vêtement parfaitement taillé : ajusté à ses besoins réels, respectueux de sa structure intime. C’est ce qui explique la rapidité avec laquelle l’islam s’est propagé. Même au sein de sociétés de plus en plus avancées technologiquement et matériellement, l’homme demeure fondamentalement attaché aux valeurs qui parlent à ses dispositions premières et spontanées. Il rejette instinctivement tout ce qui s’oppose à sa nature profonde. L’islam est, à ce titre, l’unique législation au monde à répondre pleinement, harmonieusement, aux besoins essentiels de l’être humain.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

C’est lors de l’ascension que fut instituée l’obligation des cinq prières. Ce fut au ciel même que Dieu la prescrivit, pour indiquer que la prière est, en essence, une élévation — une ascension spirituelle — par laquelle l’homme s’élève, après avoir été abaissé par les pesanteurs de l’âme concupiscente. Mais la prière telle qu’elle fut révélée par Dieu diffère profondément de celle que beaucoup accomplissent aujourd’hui. Le signe d’une prière sincère est qu’elle protège contre les turpitudes : dès qu’une tentation ignoble se présente, la conscience éveillée par la prière la rejette avec honte. Toute prière qui ne mène pas à ce degré d’élévation est mensongère. La prière est une purification intérieure, comme l’indique la tradition prophétique : une purification pour l’homme vivant, conscient, non pour un cœur mort et gangréné. Elle opère une catharsis, une libération des impuretés qui, au fil des jours, viennent ternir le cœur. Et ces impuretés sont nombreuses dans la vie […]. Mais les moyens d’en purifier l’âme sont plus nombreux encore. La tradition dit : « Les épreuves que subit l’homme à cause de sa femme, de ses biens, de ses enfants, de lui-même ou de son voisin sont effacées par le jeûne, la prière, l’aumône, la recommandation du bien et l’interdiction du mal. » Quant aux cœurs insensibles, la prière ne les touche guère… jusqu’à ce qu’ils s’éveillent — ou qu’ils soient engloutis par la terre.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

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Toutes les révélations ont été transmises au Prophète sur terre, à l’exception notable de celles qui concernent les fondements de la foi (îmân) et l’obligation de la prière rituelle (salât), qui lui furent confiées lors de son ascension céleste. Pour ces piliers essentiels — la ‘aqîda (dogme) et les ‘ibâdât (rites d’adoration) — Dieu a élevé Son Messager afin de lui transmettre directement ce qui constitue le cœur du culte et de la croyance. Ces fondements exigent une adhésion totale, tant dans leur forme que dans leur sens : une acceptation intime, une soumission confiante de l’intelligence, et un engagement du cœur. À la différence des règles sociales (mu‘âmalât), qui laissent place à l’interprétation et à l’usage de la raison, les prescriptions rituelles relèvent d’un domaine sacré qui échappe à toute rationalisation. Ici, la raison se met au service de la Parole divine, l’accueille avec humilité, et la laisse guider l’âme. En étant élevé pour recevoir la prière, le Prophète nous montre ce que celle-ci représente en vérité : une élévation quotidienne, cinq fois par jour, un détachement de soi et du monde pour se tourner pleinement vers Dieu. L’ascension ne symbolise donc pas seulement l’apogée d’une expérience spirituelle, il en est le modèle par excellence. Il révèle la nature profonde de la salât : une ascension intérieure par le biais du Verbe divin, une libération de l’âme des limites spatio-temporelles, et une orientation vers la finalité ultime de l’existence.

Tariq Ramadan (Muhammad, vie du Prophète)

 

Certains Mecquois défièrent le Prophète en lui demandant de décrire la mosquée de Jérusalem, espérant le confondre. À ce sujet, le docteur Haykal écrit : « Ceux qui soutiennent que l’ascension fut uniquement spirituelle ne seraient pas surpris de sa capacité à en donner les détails, surtout à la lumière des découvertes modernes en psychologie, qui reconnaissent qu’un individu, sous hypnose, peut parfois évoquer avec précision des lieux qu’il n’a jamais visités. Que dire alors d’une âme aussi pure que celle du Prophète , unifiée à la vie spirituelle de tout l’univers, capable de communier avec l’essence même de la création, depuis l’éternité passée jusqu’à l’éternité future, par les forces sublimes que Dieu lui a accordées ? » Cela étant dit, nous ne nous attardons pas à débattre de la manière précise dont se sont déroulés le voyage nocturne et l’ascension. Ce qui importe, c’est qu’ils constituent deux vérités spirituelles majeures, qui eurent un impact profond sur l’âme du Prophète . Ces événements lui offrirent une consolation divine après tant d’épreuves, renforcèrent son lien à Dieu, et l’élevèrent au-dessus des moqueries des ingrats et des propos des ignorants. Dès lors, il se consacra à sa mission avec un élan renouvelé, certain que chaque jour le rapprochait un peu plus de la victoire promise, et que, malgré les souffrances, la lumière finirait toujours par triompher.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Certains auteurs ont prétendu qu’un groupe de musulmans aurait apostasié après le récit du voyage nocturne et de l’ascension, tant ils auraient douté de sa véracité. Le docteur Haykal lui-même avance que « les musulmans ont vacillé lorsque cette histoire se répandit, sous les moqueries des négateurs qui en rejetaient l’authenticité ». Mais cette affirmation ne repose sur aucune preuve solide : ni les faits historiques dignes de mémoire ne l’attestent, ni la déduction rationnelle n’y conduit.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

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L’expérience du voyage nocturne, telle que rapportée dans les sources classiques de la Sîra, se présente comme un don exceptionnel de Dieu et une consécration spirituelle de l’Élu, al-Mustafâ. Pourtant, cet événement prodigieux fut, pour les hommes, une épreuve redoutable. Il traçait une frontière nette entre ceux dont la foi, éclairée par la confiance en le Prophète , acceptait pleinement son témoignage, et ceux dont la foi vacillante peinait à concevoir l’invraisemblable. Ce miracle céleste, bien qu’il ait été un immense honneur pour le Prophète , s’imposa comme une véritable mise à l’épreuve pour la communauté, particulièrement dans un contexte de persécutions accrues. Certains, selon les récits, renoncèrent à l’islam, mais la majorité resta ferme, soutenue par sa foi en Muhammad . Par la suite, des événements précis vinrent confirmer certains détails évoqués par le Prophète , renforçant encore la certitude et la sérénité des croyants.

Tariq Ramadan (Muhammad, vie du Prophète)

Certains chercheurs insistent sur l’aspect strictement humain et ordinaire de la vie du Prophète , affirmant qu’il ne réalisa aucun miracle, voire qu’il les reniait et refusait ceux qui en réclamaient. En remontant aux origines de ces idées, on constate qu’elles trouvent leur source chez certains orientalistes et penseurs étrangers à l’islam, comme Gustave Le Bon, Auguste Comte, Hume, Goldziher, etc. Leur raisonnement part d’un refus fondamental de croire en Dieu, ce qui rend impossible toute croyance en des miracles. Car dès lors que la foi en Dieu s’installe dans le cœur, l’idée même de miracle devient naturelle, ou plutôt, cesse d’être perçue comme extraordinaire. Cette approche a malheureusement été reprise par certains penseurs musulmans influencés par la pensée européenne moderne, tels que Muhammad ‘Abduh, Muhammad Farîd Wajdî ou encore Husayn Haykal. Sous couvert de rationalisme et d’ouverture scientifique, ils ont repris à leur compte cette vision sécularisée de la figure prophétique, contribuant ainsi à diffuser, dans le monde musulman, une image tronquée du Prophète . Ils ont exalté ses qualités humaines — son génie, son héroïsme, son intelligence politique — mais en insistant sur des aspects strictement humains, vidés de leur dimension prophétique et miraculeuse. L’objectif de cette entreprise était de forger dans les esprits musulmans une représentation « modernisée » de Muhammad , réduite à celle d’un grand homme ou d’un chef charismatique, en évacuant totalement la réalité de sa mission divine. Selon eux, la prophétie et ses signes miraculeux relèveraient du mythe ou de la légende. Contrairement aux miracles, le génie ou l’héroïsme sont, à leurs yeux, des qualités explicables par la nature humaine. Il devient alors facile d’attribuer la diffusion de l’islam au seul charisme de Muhammad , et non à la révélation divine. C’est dans cette logique qu’est apparue l’appellation trompeuse de « mahométan », qui transforme une religion de Dieu en un mouvement inspiré par un simple homme. Pour remettre la vérité à sa juste place, il faut mener une analyse objective et rigoureuse. Une chose est certaine : la prophétie dépasse les critères rationnels ordinaires. Nier les miracles revient inévitablement à nier la prophétie, et donc la révélation, c’est-à-dire le fondement même de la religion.

Certains orientalistes évitent de pousser cette conclusion à son terme, mais le glissement est évident : en excluant tout élément surnaturel de la vie du Prophète , ils réduisent son rôle à celui d’un réformateur de génie. D’autres, comme Shiblî Shumayyil, vont plus loin en rejetant purement et simplement toute forme de religion, en déclarant que croire en une religion, c’est croire à un miracle impossible. Mais nier ou discuter les miracles est une position absurde, car elle revient à mettre en doute la légitimité même de la religion. La tradition islamique, transmise de manière rigoureuse par des chaînes d’autorités reconnues, nous rapporte un grand nombre de miracles accomplis par le Prophète . Ces récits ont été authentifiés dans les grandes compilations de hadiths, comme celui d’al-Bukhârî rapportant l’écoulement de l’eau entre les doigts du Prophète . Il en va de même pour le hadith du voyage nocturne et de l’ascension, unanimement reconnu comme l’un des miracles les plus marquants de sa vie.

Il est d’ailleurs révélateur que ceux qui nient les miracles ignorent délibérément ces récits pourtant largement authentifiés. Ils évitent de les commenter, car ces textes réfutent directement leur thèse. Or, le concept même de miracle n’est pas absolu, mais relatif. Il désigne tout ce qui sort de l’ordinaire. Mais ce qui nous semble aujourd’hui banal pouvait être perçu comme miraculeux par d’autres. La connaissance scientifique évolue, mais elle ne supprime pas l’émerveillement devant l’ordre de la création. L’univers, les lois naturelles, le corps humain, sont eux-mêmes des miracles continus que l’habitude nous empêche souvent de reconnaître comme tels. L’orientaliste William Johns l’a bien exprimé : « Il n’est pas difficile à la puissance qui a créé le monde d’y ajouter une règle ou d’en retirer une autre. Ce que la raison humaine juge impossible est pourtant bien moins incroyable que l’existence même du monde. » En somme, si l’on n’avait jamais vu le monde, et qu’on nous annonçait son apparition, on le rejetterait comme un conte absurde — bien plus encore que tout miracle. C’est cette vérité que tout musulman sincère doit comprendre : Dieu, qui est à l’origine de toute chose, peut à tout moment suspendre les lois qu’Il a Lui-même instaurées. Les miracles du Prophète , nombreux et attestés, s’inscrivent dans cette logique. Ils ne diminuent en rien sa qualité humaine ; au contraire, ils en révèlent toute la noblesse, car ils viennent confirmer la grandeur de sa mission et la véracité de son message.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

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Les qualités des compagnons du Prophète sont le fruit direct de son enseignement, d’un modèle profondément humain et accessible. Sa prédication ne s’appuyait pas sur le merveilleux ou l’extraordinaire, mais visait à montrer que la voie du salut se trouvait dans l’effort, la droiture, la sincérité — des qualités présentes en chaque être humain. C’est en cela qu’il fut un exemple vivant : proche, cohérent, humain. Pourtant, certaines biographies du Prophète abordent sa vie comme s’il avait été doté de pouvoirs surnaturels ou magiques, amenant par des voies mystérieuses toute l’Arabie à se soumettre à lui. De nombreux récits sont interprétés sous un prisme presque légendaire, même lorsque les faits relatés ne comportent à l’origine aucun élément miraculeux. Le cas de l’émigration de Suhayb al-Rûmî en est un exemple. Lorsque Suhayb tenta de quitter La Mecque pour Médine, de jeunes Qurayshites lui bloquèrent le passage. Il leur proposa : « Et si je vous laissais tout ce que je possède, me laisseriez-vous partir ? » Ils acceptèrent, et Suhayb abandonna toute sa fortune pour poursuivre son chemin vers le Prophète . Selon un récit rapporté par al-Bayhaqî, lorsque Suhayb arriva à Médine, le Prophète l’accueillit en lui disant que son échange avait été fructueux, ce qui surprit Suhayb, car personne n’était arrivé avant lui pour transmettre la nouvelle. Il s’exclama : « C’est donc Gabriel qui te l’a révélé ! » Cependant, d’autres sources, telles qu’Ibn Marduya et Ibn Sa‘d, relatent l’histoire de manière différente : c’est lorsque Suhayb arriva à Médine et raconta lui-même ce qu’il avait sacrifié que le Prophète dit : « Suhayb a gagné ! Quel excellent échange il a fait ! » Ce genre de divergence montre que les miracles ne sont pas toujours nécessaires pour expliquer la grandeur de ce qui s’est passé. En réalité, la simplicité de la vie du Prophète , son humanité, sont précisément ce qui rend son exemple universel et accessible. Il était un homme parmi les hommes. Selon al-Bukhârî, il lui arrivait de trébucher comme tout un chacun. Et c’est d’ailleurs ce que lui reprochaient ses détracteurs : « Tu fais du commerce comme nous, tu mènes une vie ordinaire… » Ils ne pouvaient concevoir qu’un être aussi humain puisse être l’élu de Dieu. Mais c’est justement dans cette humanité que réside la grandeur de sa mission. La vie du Prophète n’était pas un conte merveilleux truffé de miracles fantaisistes : c’était une existence profondément humaine, soutenue à chaque étape par Dieu. Il fut l’humble serviteur du Très-Haut, choisi pour transmettre le dernier message. Et si son succès peut être considéré comme un miracle, ce n’est pas en raison de pouvoirs surnaturels, mais bien à cause de la puissance de la vérité qu’il portait, de sa patience, de sa confiance en Dieu et de son exemplarité constante. C’est ainsi que le Coran nous présente le Prophète : un homme parmi les hommes, mais guidé, éclairé, soutenu par le Seigneur des mondes. Sa vie est un modèle de foi incarnée, non un récit mythique.

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

Il est impératif de rejeter catégoriquement l’ouvrage intitulé Mi‘râj Ibn ‘Abbâs, qui contient une multitude de récits mensongers dénués de tout fondement authentique. L’auteur véritable de ce texte a usurpé le nom d’Ibn ‘Abbâs afin de donner une fausse légitimité à ses propos. Pourtant, il est bien établi qu’Ibn ‘Abbâs n’a jamais écrit un tel livre, ni prononcé de tels récits concernant l’ascension du Prophète . Il aurait d’ailleurs été incapable de cautionner ou de transmettre de tels mensonges. Par ailleurs, il est historiquement reconnu que le mouvement d’édition des ouvrages ne débuta que vers la fin de l’époque omeyyade, bien après la mort d’Ibn ‘Abbâs. Ce faux ouvrage a pourtant été promu par certains opposants à l’islam dès qu’ils en ont pris connaissance, précisément parce qu’il contient des propos attribués au Prophète qui sont de nature à troubler la foi des musulmans. Parmi ceux qui ont vanté ce texte, on trouve le docteur Louis Awad, bien qu’il soit parfaitement conscient — comme d’autres — de l’inauthenticité de ce document et du caractère mensonger des hadiths qu’il contient. Ces falsifications sont néanmoins justifiées à leurs yeux, dès lors qu’elles permettent de semer le doute chez les croyants et d’affaiblir leur attachement à la vérité de l’islam.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Dans son ouvrage intitulé La vie de l’imposteur Mahomet, Humphrey Prideaux tente de démontrer que certains épisodes de la vie du Prophète — notamment celui du voyage nocturne — seraient des emprunts à des sources juives et chrétiennes. Il affirme que ce récit serait une imitation d’une histoire tirée du Talmud, que le Prophète aurait reçue de ‘Abdallâh b. Salâm, un juif converti à l’islam, et qu’il aurait ensuite modifiée pour en dissimuler l’origine. Prideaux va jusqu’à mentionner un passage du Talmud babylonien, dans le traité Bava Bathra, où il est question d’un oiseau nommé Zig, si gigantesque que, marchant sur la terre, sa tête toucherait les cieux, et dont l’extension des ailes provoquerait des éclipses solaires et lunaires. Selon lui, ce type de récit fantastique aurait inspiré celui de l’ascension céleste.

Mais cette comparaison est dénuée de rigueur méthodologique : d’abord, rien dans le récit du voyage nocturne et de l’ascension ne présente un contenu comparable à celui de cet oiseau mythique ; ensuite, accuser le Prophète d’avoir plagié des textes religieux sans preuve historique fiable ni lien textuel clair relève de la spéculation gratuite. De plus, les récits talmudiques sont souvent allégoriques et mythologiques, alors que le voyage nocturne et l’ascension dans la tradition musulmane sont rapportés dans un cadre spirituel, prophétique, et avec des implications théologiques profondes. L’approche de Prideaux est symptomatique d’un biais orientaliste répandu aux XVIIe-XVIIIe siècles : nier l’authenticité et l’originalité de la prophétie de Muhammad en l’assimilant à des reprises ou des détournements de traditions antérieures. Cette lecture réductrice et anachronique ignore la cohérence interne du message islamique, sa continuité avec les révélations précédentes, et la spécificité de l’expérience prophétique telle que rapportée dans les sources musulmanes authentiques.

‘Abdurrahman Badawi (Défense de la vie du Prophète Muhammad contre ses détracteurs)

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