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PARTIE 10 : LE SILENCE ROMPU : LA REPRISE DE LA RÉVÉLATION

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Concernant la reprise de la révélation, deux versions sont rapportées dans les ouvrages de Sîra : celle d’al-Bukhârî et celle d’Ibn Ishâq. Selon al-Bukhârî, ce sont les versets 1 à 7 de la sourate 74 (al-Muddaththir) qui marquent le retour de la révélation, et il semble que ce soit l’avis le plus solide. Ibn Ishâq, quant à lui, estime que la première sourate révélée après la coupure est al-Duhâ [sourate 93].

Dans les lignes qui suivent, nous reconstituons les faits en croisant ces deux récits, dans un esprit de conciliation. La révélation reprend donc avec les premiers versets de la sourate al-Muddaththir. Al-Bukhârî rapporte, d’après Jâbir b. ‘Abdallâh, que le Messager de Dieu ﷺ dit : « Je marchais lorsque j’ai entendu une voix venant du ciel. En levant les yeux, j’ai aperçu l’ange qui m’était apparu dans la grotte de Hirâ’. Il était assis sur un siège suspendu entre le ciel et la terre. Pris de frayeur, je perds l’équilibre et tombe au sol. Je retourne aussitôt chez moi et dis : ‘Couvrez-moi ! Couvrez-moi !’ » C’est alors que Dieu révèle : « Ô toi qui te blottis sous un manteau ! Lève-toi pour commencer tes exhortations et glorifier le Nom de ton Seigneur ! Hâte-toi de faire tes ablutions, et de fuir toute abomination, en évitant cependant de te vanter de trop en faire et en te soumettant avec patience aux ordres de ton Seigneur » [74 : 1 à 7]. Dès cet instant, la révélation devient régulière et soutenue.

Quant à la sourate al-Duhâ, elle est révélée quelque temps plus tard, mais elle fait partie des toutes premières révélations. D’après al-Bukhârî et Muslim, le Prophète ﷺ tombe malade peu après la reprise de la révélation et ne peut prier la nuit pendant deux ou trois nuits. Une femme — probablement l’épouse d’Abû Lahab — remarque son absence et lui dit avec moquerie : « Ton démon t’a abandonné ! » C’est alors que Dieu révèle la sourate al-Duhâ, en guise de réconfort : « Par la clarté du matin, et par la nuit quand elle étend ses voiles ! En vérité, ton Seigneur ne t’a ni abandonné ni haï ! Certes, la vie future te réserve plus de joies que la vie présente, et ton Seigneur te comblera bientôt de bienfaits dont tu seras satisfait. Ne t’a-t-Il pas trouvé orphelin, et Il t’a recueilli ? Ne t’a-t-Il pas trouvé égaré quand Il t’a guidé ? Ne t’a-t-Il pas trouvé démuni quand Il t’a enrichi ? Alors, ne brime jamais l’orphelin ! Ne repousse jamais l’homme qui est dans le besoin ! Quant aux bienfaits de ton Seigneur, n’oublie jamais de les proclamer ! » [sourate 93].

Les versets révélés après l’interruption de la révélation marquent la clôture d’une étape et l’avènement d’une nouvelle vie. Désormais, le Prophète devait délaisser le repos, la sérénité et la solitude, pour embrasser pleinement l’éveil, la préparation intérieure et la mission d’avertir. Dieu l’appelait à porter haut le message, à affronter les hommes sans relâche, et à endurer patiemment les épreuves qui allaient se dresser sur son chemin. Telles étaient les exigences de la révélation : un engagement total, une persévérance sans faille et un cœur entièrement consacré à la mission divine.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Le terme employé dans ce verset (de la sourate 93), dâllan (égaré), peut également désigner un arbre solitaire planté au milieu du désert. Ainsi, le Prophète était comparable à cet arbre isolé : debout, unique, au milieu d’un peuple plongé dans l’ignorance. Il ne recherchait aucune reconnaissance ni aucun statut à La Mecque ; son seul souci était la quête inlassable de la Vérité. Cette recherche intérieure était sa véritable source d’apaisement, et l’absence de réponses claires devenait pour lui une épreuve insoutenable. Le Coran rappelle cette réalité intérieure par ces paroles : « N’avons-Nous pas épanoui ton coeur ? Ne t’avons-Nous pas soulagé du fardeau qui te pesait sur le dos ? » [94 : 1 à 3].

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

Cette sourate renferme de nombreux enseignements. Il est certain que le fait d’avoir été orphelin et pauvre a constitué, pour le futur Messager de Dieu , une véritable initiation spirituelle. Dès son plus jeune âge, il a goûté à la vulnérabilité et à l’humilité. La perte de sa mère alors qu’il n’était encore qu’un enfant le plaça directement sous la protection divine, tout en le rapprochant intimement des plus démunis parmi les hommes. Le Coran viendra lui rappeler de ne jamais oublier cet état fondateur, et de refléter dans sa mission prophétique cette même bonté envers les faibles et les nécessiteux. La sourate al-Duhâ enseigne également que le croyant ne doit jamais effacer de sa mémoire son passé, ses épreuves, son origine. Bien au contraire, il doit transformer son vécu en source de sagesse et de bienveillance, pour lui-même comme pour ceux qu’il rencontre.

Tariq Ramadan (Muhammad, vie du Prophète)

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