Institut Miraj

La volonté d’acheter le silence du Prophète ﷺ

Soutenez-nous sur

Le Prophète ﷺ ne cherche rien de ce bas monde. Ce qu’il veut, c’est que les gens croient en un Dieu unique et sortent de leur égarement. C’est cette éducation qu’il transmet à ses compagnons proches ainsi qu’à son épouse Khadîja. Lors de la prédication publique, les négateurs tentent d’entrer en contact direct avec le Prophète ﷺ pour lui proposer toutes formes de plaisirs et de richesses. En échange de ces biens matériels, ils espèrent qu’il renoncera à sa mission.

On rapporte qu’un jour, après avoir délibéré dans le parlement de la cité (Dâr al-Nadwa), les notables de Quraysh envoient auprès de lui l’un des plus modérés, des plus riches et des plus sages de La Mecque : ‘Utba b. Rabî‘a, des Banû ‘Abd al-Shams. Il vient négocier. Il propose de faire du Prophète ﷺ l’homme le plus riche de La Mecque, ou son seigneur, ou même son roi. Le Prophète ﷺ l’écoute avec patience jusqu’à la fin, puis lui demande : « As-tu fini, ô Abû al-Walîd ? » Il lui laisse ainsi l’opportunité d’ajouter ce qu’il aurait pu oublier. Une fois assuré qu’il a tout dit, il lui demande s’il est prêt à écouter à son tour. ‘Utba acquiesce. Alors, le Prophète ﷺ lui récite les premiers versets de la sourate Fussilat (Les Versets détaillés) : « Hâ-Mîm. Voici une révélation du Tout-Clément, Tout-Compatissant ; un Livre aux versets détaillés, un Coran en langue arabe pour des êtres doués d’entendement, qui à la fois annonce une bonne nouvelle et met en garde contre le châtiment. Mais la plupart des hommes s’en détournent et refusent de l’entendre, en disant : ‘Nos cœurs sont inaccessibles à ce à quoi tu nous appelles et nos oreilles sont frappées de surdité ! Entre toi et nous se dresse un obstacle. Agis donc comme tu l’entends, et nous agirons, de notre côté, à notre manière.’ Dis-leur : ‘Je ne suis qu’un homme comme vous, à qui il a été révélé que votre Dieu est un Dieu Unique. Servez-Le avec droiture et implorez Son pardon !’ Malheur à ceux qui Lui donnent des égaux, qui ne s’acquittent pas de la zakat, et qui s’obstinent à renier la vie future ! » [41 : 1 à 7]. Le Prophète ﷺ continue ensuite sa lecture de la sourate puis, arrivé au verset : « Si les négateurs s’obstinent dans leur refus, dis-leur : ‘Je vous mets en garde contre un cataclysme pareil à celui dont furent frappés les ‘Âd et les Thamûd’ » [41 : 13], il s’arrête et dit : « Tu as entendu, ô Abû al-Walîd. Maintenant, tout repose entre toi et ces paroles. »

‘Utba retourne auprès des siens, visiblement bouleversé. Son visage a changé d’expression. Lorsqu’ils lui demandent ce qu’il s’est passé, il répond : « J’ai entendu une parole comme jamais je n’en ai entendu de semblable. Par Dieu, ce n’est ni de la poésie, ni de la magie, ni de la divination. Ô gens de Quraysh, écoutez-moi : laissez cet homme tranquille et tenez-vous à l’écart. Par Dieu, sa parole aura un immense retentissement. S’il est tué par les Arabes, vous en serez débarrassés sans avoir à lever le petit doigt ; s’il triomphe, sa gloire sera la vôtre, sa puissance sera la vôtre, et vous serez les plus heureux grâce à lui. » Mais les notables de Quraysh rétorquent : « Par Dieu, il t’a ensorcelé avec ses paroles, ô Abû al-Walîd. » Il répond simplement : « Voilà mon avis. Faites ce que vous voulez. »

Dans leurs discussions, les notables de Quraysh finissent par déclarer au Messager de Dieu ﷺ : « Nous voyons que rien de ce que nous te proposons ne t’intéresse. Tu sais que notre cité est étroite, aride, et que notre vie est rude. Demande donc à ton Dieu de reculer ces montagnes qui nous enferment, de faire jaillir des rivières comme celles de l’Irak et du Cham, et de ressusciter nos ancêtres, notamment Qusayy b. Kilâb, que nous tenons pour un homme sincère. Nous l’interrogerons sur la véracité de ton message. Que ton Dieu t’enrichisse et réalise tes désirs. Si tu accomplis les miracles que nous attendons, nous croirons en toi. » Le Prophète ﷺ leur répond alors simplement : « Je n’en ferai rien. »

Le Messager de Dieu choisit de réciter à ‘Utba b. Rabî‘a les premiers versets de la sourate Fussilat, espérant lui faire saisir la nature véritable du Message et la sincérité de celui qui le porte. Ce Coran est un Livre révélé par le Créateur aux hommes pour les guider et les sauver de leur perdition. Le Prophète est le premier à y croire, à s’y soumettre et à incarner ses enseignements. Lorsqu’il appelle à la probité et au pardon, c’est qu’il en est lui-même l’exemple le plus accompli. Il ne cherche ni pouvoir, ni richesse, ni renommée. Tous ces privilèges lui étaient pourtant accessibles — mais, par fidélité à Dieu, il s’en est détourné avec une grandeur d’âme sans égale. Il a sacrifié sa fortune en peu de temps, renoncé aux plaisirs de ce monde, et n’a laissé à ses héritiers ni biens, ni or. Face à lui, ‘Utba venait au nom de Quraysh, espérant le convaincre de renoncer à sa mission. Mais peut-on imaginer un astre quitter son orbite pour plaire à ceux qui rejettent la lumière ? Peut-on imaginer le soleil taire sa clarté pour épargner les yeux de ceux qui refusent de voir ? La proposition de ‘Utba était aussi absurde que vaine — et la fermeté du Prophète , aussi majestueuse qu’inébranlable. La récitation des versets de la sourate Fussilat réveilla l’esprit de ‘Utba, figé jusque-là dans l’indifférence. Lorsqu’il entendit : « Si les négateurs s’obstinent dans leur refus, dis-leur : ‘Je vous mets en garde contre un cataclysme pareil à celui dont furent frappés les ‘Âd et les Thamûd’ » [41 : 13], ses traits se figèrent. Il posa sa main sur son front, comme s’il craignait réellement que le tonnerre du ciel ne s’abatte sur lui. Troublé, il quitta le Prophète et rejoignit les notables de Quraysh, à qui il conseilla avec gravité : « Laissez Muhammad tranquille. »

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

**********

Le Coran fut le socle permanent de la prédication du Prophète . Chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un, il lui récitait un extrait du Livre de Dieu. Cette récitation avait une force d’attraction remarquable, reconnue même par les Arabes les plus hostiles à l’islam. Certains opposants, fascinés en secret, venaient de nuit aux abords de sa demeure pour écouter, dans le silence, sa récitation du Coran. L’élévation stylistique et la profondeur des paroles coraniques provoquaient un bouleversement intérieur profond. Parmi ceux qui en firent l’expérience, on compte al-Walîd b. al-Mughîra. Envoyé par les notables de Quraysh pour discuter avec le Prophète , il fut saisi par la beauté du discours coranique. De retour auprès des siens, il leur déclara que cette parole surpassait toute forme d’éloquence connue et ne pouvait être comparée à aucune œuvre humaine. À Médine, lorsque Mus‘ab b. ‘Umayr fut désigné pour transmettre le message, il s’adressait aux gens en leur récitant des versets du Coran. C’est d’ailleurs cette pratique qui lui valut le surnom de muqri’, le « récitant ». Durant toute la période mecquoise, la mission du Prophète se distinguait par une rigueur intellectuelle et une élévation spirituelle, soutenues par la puissance du Coran. Face à cela, les adversaires du Prophète ne pouvaient opposer que moqueries et injures. Beaucoup de gens sensés parmi les Qurayshites comprenaient que les opposants au Prophète Muhammad n’avaient aucun argument solide à avancer, si ce n’est leur refus obstiné de reconnaître la vérité.

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

**********

Le Prophète maintiendra toujours cette posture : face aux attaques répétées de ses opposants, il s’appuiera inlassablement sur le Coran. C’est par lui qu’il répond, qu’il se protège, et qu’il oppose une résistance ferme. C’est précisément ce que Dieu lui enseigne dans un verset où apparaît pour la première fois le mot jihâd (lutte) dans le Coran : « Ne cède donc point aux infidèles ! Que ce Coran te serve à les combattre avec rigueur ! » [25 : 52]. Ce verset révèle au Prophète la voie à suivre, ainsi que le moyen de résistance : il doit faire face aux persécutions et aux oppressions, qu’elles soient sournoises ou brutales, en menant une lutte par le Coran. Ici, le jihâd ne désigne pas un combat physique, mais un effort spirituel et moral, une résistance face à l’injustice. C’est là le sens premier de cette notion : résister avec constance, en s’armant de vérité. Le texte révélé devient alors pour le Messager de Dieu une arme de vérité et un rempart contre les agressions des notables de Quraysh. Face aux moqueries, aux insultes, aux violences et aux exigences de miracles, le Prophète répond avec la parole de Dieu, qui se suffit à elle-même : elle est à la fois miracle et preuve. Le Coran éveille en l’être une force véritable, une capacité à surmonter les épreuves de ce monde, car il invite l’âme à viser l’éternité au-delà des illusions passagères :« La vie d’ici-bas n’est que jeu et divertissement, alors que la véritable vie est celle de la vie future. Mais les hommes le savent-ils ? » [29 : 64].

C’est là que réside l’essence du jihâd fî sabîlillâh — la résistance dans la voie de Dieu —, telle qu’elle est formulée dans cette première occurrence du terme. Il s’agit de reconnaître, à travers le double miracle de la création et de la révélation, la présence du Dieu Unique, et de s’opposer, avec lucidité et fermeté, à l’oppression de ceux qui ne défendent que leurs privilèges, leur autorité ou leurs plaisirs. Mais cette résistance commence par une prise de distance intérieure : « Éloigne-toi donc de ceux qui tournent le dos à Notre rappel et ne cherchent que les plaisirs éphémères ! C’est là la somme de tout leur savoir ! En vérité, ton Seigneur connaît parfaitement celui qui s’éloigne de Sa Voie et celui qui s’applique à la suivre. À Dieu appartient tout ce qui est dans les Cieux et sur la Terre, en sorte qu’Il rétribue, selon leurs oeuvres, ceux qui font le mal, et accorde la meilleure récompense à ceux qui font le bien » [53 : 29 à 31]. Le discernement n’est donc pas seulement doctrinal ou intellectuel ; il est également éthique. Ce qui distingue le croyant sincère, c’est à la fois sa foi et sa manière d’être et d’agir. Le Prophète transmet à ses compagnons une pédagogie de la patience et de l’espérance : il leur enseigne à faire cohabiter la confiance totale en Dieu et la souffrance humaine. Cette traversée de la douleur, qu’elle soit morale ou physique, est le passage vers un état de foi plus profond, où l’on peut douter de soi sans jamais douter de Dieu.

Tariq Ramadan (Muhammad, vie du Prophète)

Cet épisode illustre parfaitement l’exigence morale qui imprègne chacun des actes du Prophète . Peut-on, au nom d’une noble cause, recourir à n’importe quels moyens pour y parvenir ? L’islam répond par la négative : non seulement le but doit être juste, mais les moyens pour y parvenir doivent eux aussi être légitimes. Dieu n’a pas laissé à l’homme le choix d’inventer sa propre voie pour accomplir le bien ; Il a tracé une voie droite, empreinte de droiture et de dignité. Le Prophète aurait pu s’appuyer sur l’influence ou la richesse pour faire triompher sa mission, car ces leviers ont toujours exercé un pouvoir sur les cœurs. N’a-t-on pas vu des chefs de sectes s’imposer par la force ou l’or, réduisant les peuples à leur idéologie ? Pourtant, le Prophète refusa catégoriquement cette approche dévoyée, car elle contredisait les fondements éthiques mêmes de sa mission. Il serait donc erroné de présenter ce refus comme une simple stratégie ou une posture habile. En vérité, employer des moyens contraires à l’éthique revient à placer le sincère et le manipulateur sur le même plan. Or, la voie du Prophète est fondée sur l’intégrité totale, aussi bien dans les moyens que dans la finalité. Voilà pourquoi les prédicateurs sincères, à travers les siècles, ont enduré les épreuves et accepté les sacrifices, cheminant avec constance sur la voie droite, même si elle est ardue.

La sagesse que prône le Prophète n’est pas celle qui consiste à contourner les difficultés, à rechercher la facilité ou à pactiser avec le faux. Elle consiste à choisir les moyens les plus justes pour atteindre le cœur des hommes, à agir avec justesse et au bon moment, à faire preuve de patience, et à offrir jusqu’à sa vie s’il le faut, lorsque les circonstances l’exigent. C’est cela, la différence entre la sagesse d’un homme droit et l’habileté d’un opportuniste. Un épisode du Coran illustre cette rigueur prophétique : alors que quelques notables de Quraysh s’étaient montrés réceptifs au message de l’islam, le Prophète , heureux de ce tournant, concentra son attention sur eux pour leur exposer la révélation. À ce moment, ‘Abdallâh b. Umm Maktûm, aveugle et sincère, s’approcha du Messager de Dieu pour s’instruire. Mais, absorbé par sa tentative de convaincre les notables, le Prophète négligea momentanément son compagnon fidèle. Dieu intervint immédiatement et révéla la sourate ‘Abasa [sourate 80] pour lui faire un reproche clair. Bien que son intention fût noble, il s’était écarté, ne serait-ce qu’un instant, de la hiérarchie morale que dicte l’islam : donner priorité au sincère sur l’hypocrite, à celui qui cherche sincèrement la Vérité sur celui qui y est encore réticent. Cet épisode est un rappel puissant : nul n’a le droit d’outrepasser les limites établies par Dieu ou de détourner les principes de l’islam, même sous prétexte de stratégie. La vraie sagesse consiste à œuvrer avec intégrité dans le cadre des lois divines. C’est là que réside la vraie lumière du chemin prophétique.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Dieu n’accorda pas au Prophète les miracles spectaculaires exigés par les polythéistes de la Mecque. Certains ont interprété cela comme un signe d’incapacité, prétendant que le Prophète ne pouvait accomplir de miracles, hormis celui du Coran. Or, cette absence de réponse n’était nullement liée à une faiblesse du Messager , mais relevait de la sagesse divine. En réalité, Dieu refusa d’exaucer ces demandes parce qu’elles étaient empreintes de moquerie et d’arrogance, et non d’une réelle recherche de la vérité. Les polythéistes n’étaient pas sincères : ils exigeaient des signes tout en rejetant délibérément ce qui leur avait déjà été clairement exposé. Si ces miracles avaient été demandés dans un esprit de recherche sincère, Dieu les aurait accomplis. Mais leur manière d’interpeller le Prophète trahissait plutôt un déni orgueilleux. À ce propos, le Coran nous rappelle : « Et même si Nous leur ouvrions une porte sur le Ciel, et qu’ils pussent à chaque instant y monter, ils diraient encore : ‘C’est une hallucination, ou plutôt nous sommes sous l’effet d’un envoûtement !’ » [15 : 14 et 15]. Leur refus n’était donc pas lié à un manque de preuves, mais à une fermeture volontaire du cœur. Cela dit, Dieu accorda bel et bien à Son Prophète d’autres miracles, que l’on retrouve à travers divers événements historiques. Le Coran demeure toutefois le miracle permanent et inimitable qui atteste de la véracité du Message, dans sa forme comme dans son fond.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

**********

Pour comprendre pourquoi les notables de Quraysh s’adressèrent au Prophète de la manière dont ils le firent, il faut d’abord tenir compte du contexte géographique de la péninsule arabique. Une chaîne de montagnes longeait la côte du Hijâz jusqu’aux profondeurs du Najd, empêchant les vents marins d’atteindre l’intérieur des terres. Cette barrière naturelle limitait fortement les précipitations, créant un contraste saisissant avec les régions fertiles d’Irak et de Syrie. Cette aridité chronique contribua aux difficultés économiques qui touchaient l’Arabie. Dans un tel contexte, toute personne aspirant au pouvoir aurait pu facilement gagner l’attention du peuple en promettant des solutions immédiates à ces problèmes matériels. Mais le Prophète n’emprunta jamais cette voie. Il ne s’engagea pas dans un discours orienté vers des réformes économiques ou politiques directes. Dès le départ, il consacra ses efforts à un appel fondamental : celui de l’unicité de Dieu (tawhîd). Son engagement ne visait ni à conquérir des territoires, ni à obtenir des richesses, mais à éveiller les consciences et à transformer les cœurs. L’histoire témoigne cependant que ce message spirituel eut des conséquences immenses. Il contribua à ouvrir de nouvelles perspectives économiques et politiques pour les Arabes.

Mais ces transformations furent des effets secondaires, non des objectifs recherchés par le Prophète . Ce dernier forma ses compagnons dans le même esprit : leur but n’était pas de dominer ni d’accumuler les biens de ce monde, mais de devenir des porteurs de lumière, de foi et de sens pour l’humanité. La transmission du message divin fut le centre de la vie du Prophète . Si l’on devait résumer l’ensemble de sa mission en un seul terme, ce serait celui-ci : « la transmission ». Il n’adopta pas l’attitude des chefs politiques, centrés sur les intérêts immédiats ou sur des réformes sociales circonstancielles. Il dédia plutôt chaque instant de sa vie à appeler les hommes à Dieu, en bâtissant simultanément une communauté fondée sur la justice, la foi et la solidarité. À première vue, cette priorité pouvait sembler déconnectée des urgences du moment. Mais le résultat de cet engagement montre que lorsqu’on se tourne sincèrement vers l’au-delà – comme le rappelait souvent le Prophète –, les biens de ce monde suivent naturellement, dans la juste mesure voulue par Dieu.

Wahidudine Khan (Mohamed un Prophète pour l’humanité)

Plus de posts