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La jeunesse et la profession du Prophète ﷺ

À l’âge de treize ans, le Prophète Muhammad ﷺ commença à garder des moutons pour le compte des Mecquois ainsi que des Banî Sa‘d, contre un salaire modeste.

Durant sa jeunesse, Dieu le protégea des distractions et des tentations de la vie mondaine. À ce propos, le Messager de Dieu ﷺ déclara : « Lors de ma jeunesse, je n’ai été tenté par les actes de la période préislamique qu’à deux reprises. À chaque fois, Dieu m’empêcha d’y prendre part. Un soir, je confiai la garde de mon troupeau à un compagnon pour aller veiller en ville. Arrivé près de la première maison, j’entendis de la musique. On m’informa qu’un mariage y était célébré. Je m’arrêtai pour écouter, mais Dieu me rendit sourd à cette musique, et je m’endormis jusqu’à ce que le soleil me réveillât. Je retournai auprès de mon compagnon et lui racontai ce qui m’était arrivé. Une autre nuit, je vécus la même chose. Depuis ce jour, je ne fus plus jamais tenté. »

À l’âge de vingt-cinq ans, le Prophète ﷺ fut chargé de diriger une caravane commerciale vers la Syrie. Cette mission lui fut confiée par Khadîja bint Khuwaylid, l’une des femmes les plus riches et respectées de La Mecque, alors veuve. Elle avait pour habitude d’employer des hommes de confiance pour gérer ses affaires à l’étranger. Lorsqu’elle entendit parler de la moralité exemplaire et de l’honnêteté du Prophète ﷺ, elle lui proposa de conduire l’une de ses caravanes. Le Prophète ﷺ accepta et partit en direction du Nord, accompagné de Maysara, l’esclave de Khadîja.

Le voyage fut un succès notable. À leur retour, Maysara raconta à Khadîja ce qu’il avait observé tout au long de l’expédition : il fut profondément impressionné par l’intégrité, la patience et la noblesse de caractère du Prophète ﷺ.

Un homme d’une telle perspicacité est naturellement appelé par la vie, même s’il ne la sollicite pas. Car la vie véritable n’est pas faite pour les pessimistes ni pour ceux qui s’abritent dans l’illusion. Bien que ce monde regorge de plaisirs accessibles, le Prophète ﷺ n’y a jamais glissé, pas même par inadvertance. Rien, absolument rien, ne vient entacher son parcours. Nulle action, nulle intention ne laisse penser qu’il ait un jour convoité richesse ou position sociale. Sa réputation était solidement ancrée dans ses vertus : la noblesse, la clairvoyance, la sincérité et la loyauté. La noblesse de l’âme ne consiste pas seulement à renoncer aux jouissances. Elle réside dans cette force intérieure par laquelle la chasteté, la raison et le bon sens l’emportent sur les pulsions et les désirs.

Le Prophète ﷺ n’était animé d’aucun complexe de grandeur, à l’opposé de ceux qui cherchent à briller coûte que coûte. Il ne flattait jamais pour plaire ni pour séduire les regards. À cela s’ajoutait son rejet profond de l’idolâtrie, et la certitude que la vérité résidait au-delà de tous les mythes dominants. C’est pourquoi la solitude des montagnes lui était familière, et pourquoi le métier de berger, modeste mais porteur de paix, lui convenait tant. Ce n’était ni un repli ni une fuite du monde, mais une immersion dans les vérités supérieures — celles qui transforment les êtres et réforment les sociétés. Les grandes âmes ne s’achètent pas : elles sont guidées par la lumière de la vérité, non par le poids de l’or. Elles ne cherchent pas à dominer les peuples, mais à les élever — là où les faux semblants et les comédies sociales ne font que les égarer.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

L’apprentissage des prophètes diffère de celui des hommes : l’homme n’a pas été créé pour rester chez lui à ne rien faire. De nombreux prophètes ont travaillé, et plusieurs d’entre eux ont exercé la fonction de berger. Pourquoi ce métier en particulier ? Était-ce pour les former à guider les hommes, ou à protéger les plus vulnérables ? Cela nous amène à poser une question essentielle : la connaissance du monde et des hommes jaillit-elle soudainement chez les Messagers, sans aucune préparation ? La réponse est non. Cependant, l’apprentissage des Prophètes ne suit pas les chemins traditionnels. Leur esprit sain, leur lucidité et leur disposition naturelle à la vérité les placent au-dessus des plus grands spécialistes, sans qu’ils n’aient suivi d’école au sens classique. Quelle est donc cette science qui mène à une telle perfection ? Est-elle fondée sur l’accumulation de règles, de théories ou de textes mémorisés ? Trop souvent, certains récitent sans comprendre. D’autres, parfois très jeunes, savent reproduire les discours des puissants mais restent incapables d’inciter au bien ou de dissuader du mal. Ils ne réforment rien dans la société. Il y a même des gens qui, après vingt années d’études, s’égarent dans des spéculations sur des évidences que le bon sens d’un illettré sincère trancherait en quelques instants. L’esprit du Prophète ﷺ était bien au-delà de cela. Ses intuitions, ses jugements, sa vision du monde étaient d’une clarté rare, et cela dès son jeune âge. Dans l’immensité du désert, son cœur restait éveillé, son esprit toujours en éveil. Sa méditation constante l’élevait vers une certitude que ni la simple mémorisation ni un raisonnement sans profondeur ne sauraient atteindre. Il respectait profondément les vérités de la vie et de l’univers, ce qui le plaçait naturellement au-dessus de ceux qui avaient été bercés par l’illusion et les fables. Et au-delà de ses qualités humaines exceptionnelles, Dieu le préservait, afin de conserver en lui cette intelligence rare et cette sensibilité lumineuse. Le Prophète ﷺ suivit ainsi le chemin de son ancêtre Abraham. Aucun moine ni philosophe ne lui transmit de savoir. Par sa nature ouverte et saine, il observa les peuples, analysa les sociétés, distingua le vrai du faux. Il évita les frivolités et les mythes, préférant fréquenter les hommes avec discernement, et se retirer lorsqu’il ne voyait plus de sagesse à leurs côtés. Son apprentissage fut plus profond que les sciences déviantes proposées par une société embourbée dans l’erreur depuis des siècles. Il fut le fruit de la contemplation, de l’expérience humaine, de l’éveil du cœur… et de l’élection divine.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Pourquoi le Prophète ﷺ fut berger ? La garde des troupeaux, dans la vie du Prophète ﷺ, revêt trois significations majeures. La première est d’ordre moral : elle visait à former en lui une sensibilité noble, empreinte de reconnaissance. Ainsi, bien qu’encore jeune, il choisit de travailler pour aider son oncle qui l’élevait comme son propre fils. Ce modeste revenu n’avait pour lui aucune dimension matérielle ; il y voyait surtout l’occasion de manifester sa gratitude à travers l’effort et le don de soi. La deuxième signification est éducative : elle enseigne que l’homme ne doit vivre que du fruit de son labeur. L’argent acquis sans effort, sans service rendu, sans lutte personnelle, ne porte pas en lui la véritable valeur du gain. La dignité réside dans l’effort sincère, non dans la facilité. La troisième signification est liée à la responsabilité prophétique : celui qui porte un message universel doit incarner l’exemplarité, en ne vivant ni des dons, ni des aumônes. Le Prophète ﷺ, en particulier, ne pouvait dépendre de quiconque, car il allait incarner la justice absolue — et la justice ne supporte ni faveur, ni attachement intéressé. Dans son enfance, le Prophète ﷺ ignorait encore la mission immense qui l’attendait. Mais Dieu, dans Sa sagesse, le préservait déjà de tout défaut, afin que rien dans son passé ne vienne entacher la pureté de son message futur. Tout en lui était éducation divine, préparation discrète, élévation silencieuse.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Dieu préserve Son Messager ﷺ : le Prophète ﷺ affirme que Dieu le préserva du péché dès son enfance. Cette vérité fondamentale nous conduit à deux conclusions. La première est que le Messager de Dieu ﷺ était un être humain comme les autres. Il possédait, comme tout jeune garçon, des penchants naturels, des attirances propres à la condition humaine. La seconde est que, malgré ces inclinations instinctives, Dieu le protégea de tout écart qui aurait pu porter atteinte à sa mission prophétique. Chaque fois qu’une distraction semblait l’attirer, un obstacle venait se dresser devant lui, le détournant de ce qui n’était pas digne de celui qui allait porter la parole de Dieu à l’humanité. Dans ce récit, l’intervention divine est manifeste. Qui, en effet, aurait pu le guider, alors que son entourage vivait dans l’ignorance et l’égarement ? Que le Prophète ﷺ ait traversé l’époque préislamique sans être marqué par ses dérives constitue en soi un miracle éclatant, une preuve évidente que Dieu le préparait à une mission exceptionnelle. Depuis sa plus tendre enfance, il fut libéré des instincts les plus bas. Sa droiture intérieure le poussait à l’intégrité, au point qu’il refusait de confier son troupeau à d’autres pour céder aux attraits de la ville. La seule fois où il fut tenté de le faire résultait d’un moment de faiblesse passagère, universellement humain. Dieu aurait pu laisser faire, mais Son intervention fut volontaire : elle visait à montrer aux hommes que Muhammad ﷺ bénéficiait d’une faveur divine unique. Cette protection ne fut donc pas un simple bienfait spirituel ; elle constitua un signe, une preuve tangible de la véracité de sa mission — un signe destiné à éveiller la foi et à susciter l’adhésion sincère à son message.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Dieu éduque Son Messager ﷺ avec douceur : cette histoire est précieuse, car elle nous révèle comment Dieu, l’Éducateur par excellence (ar-Rabb), a protégé Son Bien-Aimé Muhammad ﷺ de l’oubli de soi et de l’ivresse. Dieu l’a enveloppé de sommeil afin que son cœur ne soit pas troublé par le poids de la faute, la culpabilité ou toute forme de tourment intérieur. Cette préservation, douce et subtile, marquée par une diversion naturelle, était déjà un signe divin. Elle façonnait en silence la haute moralité de l’enfant. Plus tard, le Messager de Dieu ﷺ adoptera cette même pédagogie pour éduquer ses compagnons : une éducation fondée sur la douceur, la délicatesse et la sagesse du cœur. Il leur apprendra à « endormir » les instincts nuisibles et à détourner l’attention des tentations par des voies subtiles et intelligentes. Cette pédagogie prophétique est un trésor inépuisable, une lumière intemporelle que l’on peut puiser en tout lieu et à toute époque. Elle nous enseigne que le sens moral ne se construit pas par la seule force des interdits ou des punitions, mais par la douceur, la profondeur, l’écoute et la compréhension. C’est ainsi que l’âme s’élève et que la vertu devient une disposition intérieure durable.

Tariq Ramadan (Muhammad, vie du Prophète)