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Chez les Banî Sa‘d

À La Mecque, il était de tradition que les nouveau-nés soient confiés aux tribus bédouines afin de grandir dans un environnement sain, favorisant leur robustesse physique et leur éloquence. La tribu des Banî Sa‘d, réputée pour cette mission, prenait soin des enfants mecquois en échange de quelques biens. Mais l’année de la naissance du Prophète ﷺ fut marquée par une terrible sécheresse et une famine qui plongeaient les habitants dans la détresse.
Halîma et son époux al-Hârith faisaient partie de ceux qui souffraient de ces conditions difficiles. Leur chamelle ne donnait plus de lait et leur monture était épuisée. Espérant trouver un enfant issu d’une famille riche pour améliorer leur situation, ils partirent avec leur tribu vers La Mecque. Cependant, chaque femme des Banî Sa‘d préféra choisir un nourrisson dont la famille pourrait lui offrir une meilleure rétribution. Muhammad ﷺ, étant orphelin, fut ainsi délaissé par toutes.
Ne voulant pas rentrer les mains vides, Halîma décida finalement de le prendre en charge, se résignant à allaiter un enfant sans grande perspective de revenu. Mais dès qu’elle lui donna le sein, elle fut stupéfaite : elle avait soudainement assez de lait pour nourrir à satiété Muhammad ﷺ ainsi que son propre fils. La même nuit, son époux découvrit que leur vieille chamelle, autrefois tarie, donnait à nouveau du lait en abondance. Sur le chemin du retour, leur ânesse, qui peinait à avancer à l’aller, surpassait désormais toutes les autres montures. Par la suite, leur troupeau prospéra tandis que les brebis des autres membres de la tribu continuaient à souffrir de la famine. Voyant cela, leurs voisins demandèrent à leurs bergers de suivre celui d’al-Hârith, espérant bénéficier des mêmes bénédictions.

Deux ans plus tard, Muhammad ﷺ fut ramené à sa mère, Âmina, car il avait atteint une belle corpulence. Cependant, Halîma insista pour le garder encore un peu, prétextant craindre pour sa santé à La Mecque, où sévissaient des maladies. Âmina finit par accepter, et Muhammad ﷺ demeura chez les Banî Sa‘d jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans.
C’est durant cette période qu’un événement marquant se produisit. Un jour, alors qu’il jouait avec d’autres enfants, l’ange Gabriel vint à lui, le saisit et ouvrit sa poitrine. Il en retira un caillot de sang et déclara : « Ceci est l’emprise de Satan sur toi. » Puis, il lava son cœur avec de l’eau de Zamzam contenue dans un récipient d’or, avant de le replacer et de refermer sa poitrine. Les autres enfants, terrifiés, coururent prévenir Halîma en criant : « Muhammad a été tué ! » Lorsqu’ils revinrent, ils le trouvèrent sain et sauf, bien que son visage fût pâle (Rapporté par Muslim).
À six ans, sa mère l’emmena à Yathrib (Médine) pour visiter la tombe de son défunt époux, mais sur le chemin du retour, elle tomba malade et mourut à al-Abwâ’, où elle fut enterrée. Désormais orphelin de père et de mère, Muhammad ﷺ fut confié à son grand-père, ‘Abd al-Muttalib, qui l’entoura d’une grande affection. Mais à son tour, celui-ci mourut lorsque l’enfant atteignit l’âge de huit ans. Avant de rendre son dernier souffle, il chargea son fils Abû Tâlib de veiller sur lui. Ce dernier se montra toujours loyal et bienveillant envers son neveu, lui apportant protection et soutien, même après l’avènement de sa mission prophétique.
Ibn Ishâq rapporte que dès son enfance, le Prophète ﷺ fut protégé par Dieu des mœurs et pratiques douteuses de son époque. Un jour, alors qu’il jouait avec les enfants de Quraych qui transportaient des pierres en les plaçant sur leurs épaules après avoir retiré leurs vêtements, il sentit une force invisible le frapper et une voix lui ordonner : « Couvre-toi ! » Il se hâta alors de remettre son vêtement et continua à jouer, contrairement aux autres enfants. Cet événement témoigne de la protection divine qui l’accompagnait dès son plus jeune âge, annonçant ainsi la pureté et la noblesse de sa destinée.

Il est regrettable de voir nos enfants grandir enfermés entre quatre murs, privés du souffle vivifiant de la nature. S’éloigner de celle-ci pour consacrer sa vie au monde de l’entreprise ne peut, à terme, qu’engendrer divers troubles psychiques. Ce phénomène est d’ailleurs observable dans nos sociétés modernes. Selon les pédopsychiatres, un enfant devrait évoluer au contact de la nature durant les premières années de sa vie afin de développer une perception du monde en harmonie avec ses vérités profondes. Or, le système actuel, structuré à l’échelle mondiale, rend ce mode de vie difficilement accessible.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)


Le prédicateur mène une vie en accord avec la nature humaine, loin des contraintes artificielles de la société. Cet équilibre fortifie son esprit, sa raison, son corps, son âme, sa logique et sa pensée. C’est pourquoi Dieu n’a pas choisi au hasard celui qui porterait le message de l’Islam. S’Il a élu les Arabes de la péninsule, c’est parce qu’ils étaient, comparés aux nations voisines plus civilisées, dotés d’un esprit plus sain, d’une âme plus pure, d’une justice plus instinctive dans leurs comportements et d’une endurance accrue face aux épreuves inhérentes à la propagation du message divin.

Mustafâ al-Sibâ’î (al-Sîra al-nabawiyya durûs wa ‘ibar)


Lors de son séjour dans le désert, le Prophète ﷺ affine sa maîtrise de la langue arabe, développant une éloquence telle qu’il transmettra plus tard les enseignements de l’Islam avec une concision remarquable. Cette capacité, appelée jawâmi‘ al-kilam par les savants, illustre la profondeur de son expression. Son passage chez les Banî Sa‘d lui enseigne la fugacité de la vie, la fragilité de l’homme face à la nature et la véritable existence qui l’attend dans l’au-delà. Ce cadre épuré favorise sa méditation et renforce son lien avec Dieu, lui faisant prendre conscience de l’unicité divine et du mensonge de l’idolâtrie. Cette réflexion forge sa personnalité et le prépare à saisir les finalités de la Révélation. À l’inverse, la vie citadine nous enferme souvent dans les apparences de la religion, au détriment de sa profondeur spirituelle. Or, c’est précisément cette dimension intérieure qui constitue l’essence même de la foi.

Tariq Ramadan (Muhammad, vie du Prophète)

Dans la vie de l’homme, le père est un facteur passager dans la construction de son avenir. Cela fut d’autant plus vrai pour Muhammad ﷺ, car la prophétie relève d’une élection divine, indépendante de l’influence paternelle. Ainsi, le père de Joseph perdit son fils alors qu’il n’était qu’un enfant et, des années plus tard, le retrouva prophète vertueux, preuve que son destin était tracé par Dieu seul. De même, le père du Prophète ﷺ remplit son rôle terrestre avant de s’éteindre, sans que son absence n’entrave l’accomplissement du dessein divin.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)


Si Dieu a voulu que le Prophète ﷺ soit orphelin, c’est sans doute afin que nul ne puisse penser qu’il avait suivi la volonté de parents ambitieux. De même, l’idée que la prophétie ait été inspirée par Abû Tâlib est infondée, puisqu’il est mort sans embrasser l’islam. Le Prophète ﷺ a incontestablement grandi orphelin et pauvre, et sa biographie témoigne de son détachement absolu vis-à-vis de l’argent et du pouvoir. Ainsi, tout porte à affirmer que le Messager de Dieu ﷺ n’avait aucune ambition terrestre.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Les épreuves de la vie et la condition d’orphelin dès l’enfance rendent le prédicateur plus attentif à la vérité humaine, plus sensible et miséricordieux envers les orphelins, les démunis et les persécutés. Ces souffrances nourrissent en lui un engagement profond pour la justice et la clémence à leur égard. Tout prédicateur doit posséder une part essentielle de sentiments purement humains, lui permettant de comprendre et de ressentir la détresse des plus faibles. Or, cette empathie véritable ne peut naître que chez celui qui a lui-même traversé une part de leurs épreuves.


Mustafâ al-Sibâ’î (al-Sîra al-nabawiyya durûs wa ‘ibar)
 

Les bénédictions manifestées chez Halîma témoignent de la considération que Dieu accordait à Son Prophète ﷺ dès son plus jeune âge. En gratifiant Halîma et sa famille, Dieu honora celle qui nourrissait le Messager de Dieu ﷺ. La législation recommande aux croyants d’invoquer Dieu pour la pluie en temps de sécheresse par l’intermédiaire des hommes vertueux et des membres de la famille du Prophète ﷺ, à qui Il a accordé Ses bénédictions. Que dire alors de la présence du Prophète ﷺ chez les Banî Sa‘d, en terre aride, et des bienfaits qui transformèrent la vie de Halîma ? Il ne fait aucun doute que le Prophète ﷺ fut comblé d’une bénédiction divine incommensurable, lui qui fut envoyé comme une miséricorde pour l’humanité. Dieu dit : « [Ô Muhammad !] Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour l’Univers » (21 : 107).

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

Il serait erroné de croire que le mal est une entité physique que l’on pourrait retirer par une opération chirurgicale. Dans cet événement, comme dans d’autres hadiths, le sens est avant tout métaphorique. Ainsi, lorsque les épouses du Prophète ﷺ lui demandèrent : « Qui parmi nous te rejoindra la première ? », il répondit : « Celle à la main la plus élancée. » Pensant à une mesure littérale, elles comparèrent la longueur de leurs mains, mais plus tard, elles comprirent qu’il s’agissait d’une allusion à la générosité, et c’est Sawda qui s’avéra être la plus charitable. De même, l’épisode de la fente de la poitrine signifie que le Prophète ﷺ était immunisé contre le mal, à la différence des hommes ordinaires. Sa mission n’était pas de lutter contre ses propres penchants, mais d’élever les vertus et de purifier les âmes. Dieu l’a ainsi préservé dès l’enfance des tentations qui auraient pu entraver son chemin avant le début de la prophétie.

Muhammad al-Ghazâlî (Fiqh al-Sîra)

Si le mal avait une origine purement physiologique, il suffirait d’une opération chirurgicale pour qu’un être mauvais devienne bon. L’événement de la fente de la poitrine annonce la mission prophétique de Muhammad ﷺ, le préparant à l’infaillibilité et à la réception de la révélation. Dieu a voulu que cette purification spirituelle ait lieu dès l’enfance, sous le regard de témoins, afin que la véracité de son message soit attestée plus tard. Il n’y a donc aucune raison de recourir à des interprétations fantaisistes tant que les faits sont authentifiés. Seuls ceux dont la foi est faible cherchent à en altérer le sens. Lorsqu’un texte est confirmé et authentique, le croyant doit l’admettre et l’analyser selon les règles de la langue arabe. Par ailleurs, le sens propre (haqîqa) prime sur le sens figuré (majâz) : si chacun privilégiait systématiquement l’interprétation métaphorique, lalangue perdrait sa valeur et le sens des textes deviendrait arbitraire. Pourquoi alors chercher à déformer les faits et nier leur sens explicite ? La foi en Dieu et en Son Prophète  impose d’accepter ces événements, même s’ils dépassent notre compréhension.

Muhammad S. R. Al-Bûtî (Fiqh al-Sîra)

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